Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/57

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

légende l’Enquête sur la Monarchie et l’Avenir de l’Intelligence. Aristarchè a conduit M. Maurras vers les justes lois de la cité, vers le cœur plein et pur de la raison politique. Une petite étincelle, perdue et fragile, sommaire et simple de la statuaire grecque était venue éclater et s’obscurcir sur le rivage. M. Maurras a fait briller de lumière spirituelle l’éclat de marbre, la lampe de Psyché que l’Ionie, dans une île de pêcheurs, transrnet silencieusement à la Provence. Et, de même que Marthe « dut plutôt se fixer sur le bord de nos marécages et dans le lieu le plus stagnant de la contrée » il a placé, comme tout l’y sollicitait, l’image d’Aristarchè sur les hauteurs qui bordent la mer, parmi les rochers aux courbes harmonieuses et aux formes stables où l’esprit de la sculpture, déjà reconnaissable, sommeille. « Le genre humain est le principal bénéficiaire de la divine économie qui distribua les hauts lieux. De quelque façon que l’on nomme ce génie, celui qui tailla et mesura leur stature, disposa leurs précipices et leurs gradins, sera loué des hommes auxquels il façonna le vrai socle de leur pensée. Personne n’eût pensé dans le tourbillon d’une matière qui se décompose à vue d’œil. Il y faut la solidité, la durée, la constance[1]. » C’est dans cette constance que s’installe naturellement Aristarchè. M. Maurras la confond avec les leçons mêmes que lui inspirent les collines de son pays, dont les grands corps allongés, déclinant à la mer lui ont « rappelé parfois cette déesse que Phidias avait couchée à l’angle d’un de ses frontons ». — Solidité, durée, constance, désirs éternels et sans cesse déçus de notre nature mobile, le nom prédestiné d’Aristarchè nous indique délicatement que nous les retrouverons (après la sculpture, lieu de leurs épures et de leurs idées) seulement dans ces grands corps politiques, chefs-d’œuvre de la fortune et de l’homme, qu’il appartient aux âmes les plus hautes de créer, de maintenir ou de relever. N’est-ce, dans la préface de l’Avenir de l’Intelligence, Aristarchè qui parle ? « Je comprends qu’un être isolé, n’ayant qu’un cerveau et qu’un cœur, qui s’épuisent avec une misérable vitesse, se décourage, et, tôt ou tard, désespère du lendemain. Mais une race, une nation sont des substances sensiblement immortelles ! Elles disposent d’une réserve inépuisable de pensées, de cœurs et de corps. Une espérance collective ne peut donc pas être domptée. Chaque touffe tranchée reverdit plus forte et plus belle. Tout désespoir en politique est une sottise absolue[2].

  1. Id., p. 224.
  2. L’Avenir de l’Intelligence, p. 18.