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d’impersonnel ni rien de confus ne peut être souffert dans les prescriptions du positivisme. C’est une philosophie extrêmement vivante, figurée avec la dernière précision[1]. »

On comprend aussi que Dante, qui formait d’ailleurs la lecture favorite de Comte, soit devenu son poète. Rencontrant dans un livre de Symonds ces lignes sur Dante : « Nous trouvons quelque peu absurde que Dante enferme les gens dans des cellules, isolées et étiquetées pour l’éternité. Nous savons que tout ce qui vit est mobile, souple, changeant. », il répond : « Ce changement irrationnel équivaut à l’inexistence, et c’est pour exister en toute plénitude qu’un grand poète impose des définitions aussi certaines que possible, certœ fines à chacun des objets de son chant[2]. » Comme en scolastique, l’existence implique la définition « Toute raison fixe ». De là une vue aiguë de l’art et de la pensée de Dante, saisis dans leur affinité avec l’idéal de M. Maurras : « Le poète s’est appliqué à bien définir, comme à bien dessiner, pour bien peindre. Il a considéré à chaque catégorie chaque étage et chaque essence d’humanité. Il a eu soin de la distinguer de toutes les autres par une forte enceinte empruntée au métal de sa volonté et de sa pensée, solide airain qui n’en réfléchira que mieux les couleurs et les flammes propres à la passion[3]. »

Le classicisme, la probité et la netteté de l’art antique ne sont qu’un parti de franchise, qui fait que chaque réalité est nommée par son nom, définie et modelée en lumière. Idéaliser ce n’est pas vaporiser, mais ramasser et solidifier. La vie antique représente « cette fine et puissante conception de la vie, qui, faisant la vertu plus vertueuse qu’aujourd’hui, l’innocence plus innocente, donnait aux différents plaisirs de l’esprit ou du corps un caractère de pureté et de perfections[4] ». De là sans doute chez M. Maurras l’habitude de maximaliser ce qu’il aime ou ce qu’il hait, de maçonner dur et de bâtir, comme Cicéron Branquebalme, des aqueducs romains. C’est sa manière d’exagérer. C’est ainsi qu’il stylise l’idée de la monarchie, l’idée de la démocratie, l’idée du Roi, l’idée de l’Église, qu’il ramène à la substance solide où ils pèsent et à la ligne précise qui les cerne les objets de l’ordre

  1. L’Avenir de l’Intelligence, p. 133.
  2. Préface à la traduction de l’Enfer, de Mme  Espinasse-Mongenet, p. XXIV.
  3. Id., p. xxv.
  4. Anthinea, p. 234.