esthétique, de l’ordre politique, de l’ordre religieux, qu’il abstrait pour les présenter en cet état de concrétion le libre et le vivant. Trouvant un jour ces mots sous sa plume, il remarque : « M. Ferdinand Brunetière ne manquerait pas d’écrire ces deux termes, libre et vivant, entre deux paires de guillemets : tels quels et employés ainsi à contre-sens ils me paraissent d’un ridicule si éloquent que nul artifice typographique ne peut l’aggraver. La vie, la liberté distinguées de la perfection qui est la limite de la vie, l’apogée de la liberté… Hérésies qui sont des sottises[1]. » M. Maurras peut se fâcher et employer des mots acerbes : les idées générales, les directions sur lesquelles vit la pensée n’en demeurent pas moins, et je ne vois pas qu’une pensée critique puisse éliminer aux dépens l’une de l’autre soit l’idée de mouvement, de progrès, de liberté qui n’est que le sentiment aigu et la présence intense de la vie, soit l’idée d’achèvement, de perfection, de réalité qui s’est définie et qui demeure. Le dialogue du Sphinx et de la Chimère, dans Flaubert, stylise tout un ordre musical mêlé à la chair même de l’humanité et aux pierres de la cité. Deux directions entre lesquelles l’esprit peut choisir, mais que plus généralement il préfère composer et classer. M. Maurras, lui, tout en composant et classant, a choisi l’une, a parié pour elle. Intelligence méridionale éprise du lumineux, du découpé et du net, volonté d’achever encore, d’épurer et de cristalliser cette intelligence, de manière à l’arrêter, elle et ses idées, en leur perfection. Je n’en trouve nulle part mieux les racines que dans ces trois fortes conclusions sur l’amour qui sont aux dernières pages des Amants de Venise.
D’abord l’amour ne saurait se suffire. « Il agite l’univers et le perpétue, mais, mouvant le soleil et les autres étoiles, il n’est point en état de les détruire et de les rétablir à lui seul, même en la solitude de deux cœurs enivrés. L’homme y reste le vieil animal politique, occupé de la société, et ne cessant jamais de l’occuper de lui-même[2]. » Ce sont les lois éternelles du Banquet, l’œuvre philosophique où cette antithèse de la perfection et du mouvement est aperçue, suivie et scrutée avec l’analyse la plus aiguë et la plus pénétrante poésie. La fin de l’amour n’est point l’amour, elle n’est même point la beauté, elle est la production dans la beauté. Plus que dans l’ordre du corps et que dans l’ordre du plaisir elle l’est dans l’ordre de l’intelligence :