Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/78

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production de l’œuvre d’art comme celle inspirée par Béatrice ou Laure, de l’œuvre de pensée comme celle que Comte place sous l’invocation de Clotilde de Vaux, de l’œuvre politique qui convient à l’animal politique et que M. Maurras a symbolisée dans Mademoiselle Monk.

Ensuite « l’amour naturel cherche le bonheur. Il est donc inquiétude, impatience, désir et poursuite de tout autre que lui. Il se rue hors de lui. Quelles que soient ses passions et ses énergies, c’est à leur propre fin, c’est à un calme heureux, à un traité de paix et d’accord internel qu’aspirent toutes ces guerres intérieures. Elles seraient moins vives sans la volonté d’y échapper et de les finir ». Le contraire de l’amabam amare. Ne prenez pas ces lignes pour la formule de tout amour. Mais sentez toujours le même rythme qui chez M. Maurras porte la durée au durable, le musical au plastique, le fait à l’institution.

Enfin « pour bien aimer il ne faut pas aimer l’amour. Il est même important de sentir pour lui quelque haine ». Les joies supérieures sont celles de « l’âme noble qui se règle et s’appartient ». Et « qu’est-ce qu’un amour qui ne fait que se rechercher et se reposer en lui-même au lieu de se fuir ? Est-ce l’amour ? Ont-ils aimé ? » Hoc se quisque modo fugit, écrit M. Maurras au seuil de cette Anthinea où les pages courbent la ligne d’une passion qui se dépouille et se dénude, belle et secrète Psyché nuptiale, en intelligence.

Ainsi M. Maurras avoue l’« amour pour principe », mais dans le sens chronologique du mot principe, commencement et non commandement. Et dans le triple système comtiste de l’amour, de l’ordre et du progrès, l’accent chez lui reste obstinément fixé sur l’ordre. « Romain par tout le positif » de son être, il se veut constructeur. Répondant à un voyageur de profession « fier d’avoir aperçu un grand nombre de pagodes » et qui lui reproche d’avoir « une tête rétrécie, par l’éducation classique », il répond : « Admettons que, de nous, ce soit moi qui fasse l’erreur. Mais l’erreur est précieuse si elle me met en état de comprendre et de ressentir ce que l’histoire intellectuelle de l’univers nous présente de mémorable. Elle me procure une foule d’explications lucides de ce qui nous touche le plus. Au contraire, si l’on admet que vous ayez la vérité, que contient-elle de pratique, de nourricier et d’assimilable pour vous ? Un principe de curiosité infinie… N’ayant rien choisi, ne préférant rien, végétant dans une indifférente inertie, vous affectez une mobilité extrême : elle est, au fond, un simple mode de cette condition des cailloux que l’on roule,