ou à l’homme animal politique. La réponse n’est pas donnée dans notre nature, elle ne peut être fournie que par un choix, et bien que l’on s’entende au fond sur le besoin, l’importance et la valeur de ce choix, le langage même par lequel on en exprime la nécessité, indique dès le premier moment dans quelle direction le choix a été fait. Le point de départ originel, le rapport entre l’intelligence et l’action sont à peu près les mêmes, mais l’orientation et les résultats de l’action seront dans les deux cas très différents.
Entre les deux conceptions, aussi bien qu’entre le théoricien positiviste de Martigues et le philosophe kantien d’Avignon, il n’en existe pas moins une sorte de rapport général, et, comme dit Nietzche, d’amitié stellaire. Dans les deux cas une façon franche et virile d’aborder les problèmes, de les attaquer non par leur pente douce, mais par leur cassure escarpée, une méfiance à l’égard non de la simplicité et de la généralité, mais de la facilité. C’est le résultat auquel aboutit d’ailleurs la discipline comtiste. Il faut plus d’énergie pour remonter une pente que pour la descendre, et la « réaction » est de l’action au deuxième degré. Certes M. Maurras est traditionaliste ; il l’est jusqu’à adopter à peu près, pour son apologétique, une théorie du bloc lorsqu’il s’agit de l’Église catholique ou de la monarchie française, mais bloc localisé, délimité et tranché. Mais d’autre part il porte en lui cette idée que nous ne sommes pas esclaves du passé, que nous l’acceptons ou le rejetons en vertu d’une décision, d’un choix. Rien chez lui de cette résignation lucide, fluente, impassible où l’on voit, toutes rames abaissées comme au fil irrésistible d’un fleuve qui coule à pleins bords, dériver à la démocratie dans le dernier volume de la Démocratie en Amérique la pensée de Tocqueville : « Celui, dit M. Maurras, qui voit combien d’effets divers et de conséquences lointaines peuvent naître de la plus petite initiative d’un homme ou d’un groupe d’hommes bien dirigés, quand elle n’est pas exercée au rebours de la mécanique générale de la nature, celui-là devient tout à fait incapable de désespérer[1]. » Sa philosophie à ce sujet tient dans l’élégant et fin apologue de Mademoiselle Monk. Rétablir la monarchie, comme pour Renouvier protestantiser la France, c’est difficile, mais c’est possible, c’est une œuvre intelligente à concevoir et à tenter. Le fait monarchique peut « se rétablir en très peu de temps, moyennant le concours de l’élite pensante et de l’élite armée… Ce qui a commencé peut se recommencer ; ce qui eut un
- ↑ Enquête sur la Monarchie, p. 498.