Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/87

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de leur acte créateur, et si elles ne se font pas toutes seules, elles se défont fort bien toutes seules.

Ce sera une digne maxime d’une action belle, utile, méritante que de se proposer un but difficile, mais excellent, d aider les choses à se faire et non d’attendre passivement qu’elles se fassent : Rusticus expectat… Mais si l’action proposée par M. Maurras comporte les éléments de difficulté, de fortune et de chance qui lui donnent des possibilités dramatiques et une qualité humaine, la pensée qui doit diriger cette action ne prétend nullement être une pensée difficile. « Rien n’est possible sans la réforme intellectuelle de quelques-uns. » Mais cette réforme intellectuelle, proposée à tous, est la plus simple du monde. Elle consiste à considérer quelques vérités de bon sens (la chose du monde la mieux répartie entre les hommes) qui avaient toujours fait partie du patrimoine de la sagesse humaine avant que le monstre à trois têtes, Réforme, Révolution, Romantisme fût venu tout brouiller. M. Maurras nous dit qu’il aimerait à gagner la réputation d’un Sarcey ou d’un Prudhomme occupé à remâcher quelques grosses évidences. La doctrine royaliste est une doctrine où l’on est à l’aise et qui ne fait courir aucun danger de fièvre cérébrale : « Les objections, les répugnances mêmes perdent toute signification dès que l’on a repris contact avec ce nom oublié de roi. D’abord surpris de se réveiller royaliste, on s’étonne bientôt de ne pas l’avoir été de tout temps. Les satisfactions d’intelligence et de patriotisme se doublent en effet d’un sentiment de bien-être, d’allègement, de facilité à penser et à vivre qui résulte de convenances préétablies entre l’institution royale et les instincts des hommes ou le sens des choses dans notre pays… L’âme républicaine, incessamment émue sans objet et sans espérance, fournit un abrégé de l’anarchie intense à laquelle la République soumet l’ensemble et les éléments du pays. Mais, à l’inverse, cette paix intérieure dont les royalistes ont le partage et que M. Jules Lemaître a décrite avec volupté donne un avant-goût de la paix publique profonde que la monarchie tend à réaliser[1]. » C’est très intéressant et il y a là évidemment quelque chose de vrai. Ainsi le voyage dans la Vallée de la Moselle faisait voir à Sturel et à Saint-Phlin « le boulangisme comme un point dans la série des efforts qu’une nation, dénaturée par les intrigues de l’étranger, tente pour retrouver sa véritable direction. Une suite de vues analogues leur composaient un système

  1. Enquête sur la Monarchie, p. XLI.