famille Monod, qu’est-ce que deviennent de pauvres questions matérielles comme celle de chercher à grand renfort de besicles si les cinq propositions sont dans l’Augustinus ou si l’écriture du bordereau est de Dreyfus ?
Là où M. Maurras a raison, c’est lorsqu’il voit dans l’affaire Dreyfus un pinceau de lumière jeté sur la décomposition de la France. L’absence d’État s’y est révélée à nu. Des « États » pour employer l’expression de M. Maurras qui les limite bien arbitrairement à quatre, ont tiré chacun de leur côté, et l’État a été le patient écartelé. État militaire, obstination de la corporation des officiers à soutenir l’« honneur » d’une justice en pantalon rouge qui ne saurait s’être trompée, et finalement l’honneur d’un simple bureau. État intellectuel, dont la fonction est de construire, de défendre, d’attaquer des flottes d’idées ou d’abstractions rivales et d’enrégimenter comme dans la presse de la marine anglaise à bord de ses bâtiments tout homme ou toute idée qui allait paisiblement à ses affaires. État juif, état protestant, état maçon, état métèque, d’accord — État catholique. État parlementaire. Et surtout, puisqu’il s’agit de M. Maurras et que son État particulier nous intéresse davantage, État des journalistes. L’Affaire est née moins des passions propres à une corporation de militaires que de celles particulières à une corporation d’écrivains quotidiens. Son atmosphère fut créée entièrement par un journal, la Libre Parole qui, très lu dans le monde militaire, avait complètement remplacé, dans le clergé, de vieux journaux sérieux comme l’Univers et le Monde. L’antisémitisme qu’elle créa et exploita était né dans le monde du journal, du théâtre, des livres, des professions libérales où des Juifs occupaient une place remuante, encombrante, et jouaient des coudes dans la poitrine des concurrents ; il n’a guère de racines en dehors de ce milieu. La création de campagnes, le lancement d’« Affaires » est une nécessité vitale pour la presse, — et l’affaire Dreyfus fut vraiment l’âge d’or des journaux, comme l’année de l’influenza fut l’âge d’or des médecins. N’oublions jamais que M. Maurras est journaliste, qu’il a l’information et la déformation de son milieu professionnel, comme tous nous gardons celles des nôtres. Le P. Descoqs, écrivant un livre d’examen sympathique sur l’œuvre de M. Maurras, dit : « Comment oublier enfin le jugement que M. Maurras porta naguère sur le faux du colonel Henry ? Force, décision, finesse, rien ne manqua au colonel, si ce n’est un peu de bonheur. » Et le P. Descoqs rappelle avec énergie qu’un faux est un faux, et que saint Paul a dit : Non faciarnus