mala ut veniant bona. M. Maurras estime que son critique s’est placé au point de vue de la corporation des théologiens, qui n’est pas le sien à lui. Le P. Descoqs, membre d’une illustre congrégation enseignante, s’est placé aussi à celui de l’éducation. Accordons tout cela à M. Maurras, mais n’oublions pas, pour la clarté de nos idées, que lui aussi appartient à une profession déterminée, et que le monde des chapeaux, des morasses et des bouillons a, comme le monde des tableaux noirs et des thèmes latins, son équation personnelle.
La défense du colonel Henry s’expliquait du point de vue d’une morale de partisan, celle dont M. Barrès, dans les pages de Scènes et Doctrines du Nationalisme consacrées au procès de Rennes, a donné des exemples et déployé des attitudes. Du point de vue de l’art elle comporte beaucoup d’élégance (on peut aimer la défense de Libri par Mérimée) et elle permit à M. Maurras de faire l’épreuve de ce que peut une puissante faculté d’exposition sur une opinion hésitante et moutonnière. Sans lui l’affaire Dreyfus n’eût été peut-être qu’une pièce en trois actes : l’ayant fait rebondir au trois, selon la formule sarceyenne, ayant rendu, le premier, aux antidreyfusards une bonne conscience et une pugnacité quand même, il la conduisit au cinq, et, en somme, ne la lâcha jamais. L’affaire Dreyfus ayant été le tournant décisif de sa vie, l’individualiste retourné qu’est M. Maurras n’admit pas, avant la guerre du moins, qu’elle ne fût point le tournant décisif de la vie française. Mais est-il isolé ? Le sub specie Dreyfusi ne marquât-il pas une bonne partie de sa génération, et lui-même n’a-t-il pas fait de bien justes remarques sur le cas de M. Millerand, ministre de la guerre du cabinet Poincaré, et « emporté, balayé, sur la simple apparence du soupçon de ne pas pratiquer tous les rites de la religion dreyfusienne : un cas de conscience véritablement byzantin posé par le seul nom du lieutenant-colonel du Paty de Clam sut primer ou couvrir tout souci d’intérêt public[1]. »
Sans doute faut-il espérer que la guerre classera l’Affaire. Quand on la verra avec quelque recul, peut-être estimera-t-on qu’un démiurge subtil, homme de théâtre, la disposa spécialement pour placer la France en état de clarté dramatique. Après avoir joué, tourbillon aspirant, son rôle classificateur, elle apparut intelligemment, comme les situations de Molière, sans issue. Dreyfus fut condamné deux fois, la première fois illégalement, la seconde fois absurdement avec
- ↑ Kiel et Tanger, p. LXXIV.