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timentale à une doctrine. « J’ai trouvé, a dit M. Barrès, une discipline dans les cimetières où nos prédécesseurs divaguaient. » Quand il reproche aux romantiques de divaguer, à Rousseau d’extravaguer, j’entends bien que M. Barrès le dit dans la louable intention d’exorciser en lui, en les dénonçant chez les autres, les puissances de vague et de vagabondage qu’il porte avec une mauvaise conscience. Et quand il parle de la discipline qu’il a trouvée, j’entends surtout qu’il parle de la discipline individuelle dont tous les traits étaient dans Un Homme Libre. Nous avons vu le beau voyage de Sturel aboutir à une agitation boulangiste qui, ayant eu le tort de ne pas réussir, nous fait penser qu’elle ne pouvait réussir. L’essentiel est que M. Barrès ait tiré de la terre et des morts une belle musique, qu’il ait mis au jour une idée de la terre et une idée de la mort.

III
LA TERRE DE LORRAINE

« Ah ! que la mort de M. Renan sera intéressante ! » s’exclamait, avec la férocité de la jeunesse, M. Barrès dans le petit livret bleu de ses débuts. Je ne sais ce que sera celle de M. Barrès. Mais le fait est qu’il a voulu en goûter lui-même, comme Charles-Quint à Saint-Juste, tout l’intérêt pendant le temps qu’il avait à vivre. Il s’est aménagé dans l’idée de la Lorraine, dans un bastion de l’Est pareil à un mastaba égyptien, la belle tombe aux lignes harmonieuses où il goûte le plaisir de la retraite et le fruit de la pleine pensée en accord, comme avec sa branche, à toute la ligne flexible d’une race. La Lorraine c’est le lieu de M. Barrès, et le 2 novembre c’est le jour de M. Barrès. Chateaubriand et Lamartine avaient donné, sous des visages différents, la formule idéale de ce genre de vie, de ce morceau de terre française en lequel se confond comme son âme le génie d’un homme.

Les Déracinés se terminent sur le compliment de Bouteiller à l’avocat Suret-Lefort, qu’il félicite de s’être affranchi dans sa prononciation de toute particularité lorraine. M. Barrès, lui, est demeuré Lor-