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quarante-trois ans, par ta fidélité, tu maintenais sous nos poitrines souvent irritées une amitié commune. Les meilleurs recevaient de toi leur vertu. Tu fus notre lien, notre communion, le foyer du patriotisme, un exemple brûlant. Aujourd’hui le feu sacré a gagné la France entière. Tu nous a sauvés de nous-mêmes. À nous de te délivrer, Rédemptrice[1]. » La délivrance est achevée, dans la joie je le sais, mais est-ce afin que le breuvage soit moins fade que subsistent tant de gouttes d’amertume et que Salammbô, le Zaïmph repris, demeure encore mélancolique devant son rêve accompli ? Peut-être l’esprit triomphant du vainqueur rendra-t-il moins, rend-il déjà moins, en harmonies barrésiennes, que naguère l’esprit froissé du vaincu. Que je cesse d’être froissé, disait M. Barrès jeune, et je ne produirais plus rien d’intéressant. Aujourd’hui que dans les éternelles luttes rhénanes c’est au tour du Rhin allemand d’être froissé, sera-ce aussi son tour de produire quelque chose d’intéressant ?

III
L’ARBRE

Au couple de la Terre et des Morts, on pourrait joindre, dans le blason idéal de M. Barrès, cette image qui symbolise continuellement chez lui une vie réglée par eux : l’arbre. Elle revient aux occasions diverses comme le totem de ses cultes successifs. Son éthique se résumerait volontiers en ceci : Sois un arbre conscient, total, harmonieux ; vis en leur temps et à leur place ta vie de racines, ta vie de tronc, ta vie de branches ensoleillées. Dans les Déracinés Taine apparaît comme le maître des meilleurs entre les sept jeunes Lorrains, mais le maître de Taine lui-même, c’est ce platane de l’esplanade des Invalides qu’il visite dans sa promenade quotidienne. « Cet arbre est l’image expressive d’une belle existence… Il n’était pas besoin qu’un maître du dehors intervînt… Lui-même il est sa loi et il l’épanouit… Quelle

  1. L’Union Sacrée, p. 79.