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Comme Au Service de l’Allemagne c’est un livre d’intelligence et de conscience. Peut-être avec un soupçon d’excès. « Je voudrais mettre ici, dit M. Barrès, un sérieux sans sécheresse, une clairvoyance calme[1]. » Est-il bien utile de nous enlever le plaisir de les y trouver ? Cet art volontaire, à effets choisis, paraît trop soigné et prémédité. M. Barrès ne se résoudra jamais à ne pas figurer lui-même, pour un minimum, dans son œuvre. (La dernière page, si superflue, de Colette présente de façon curieuse la même faute de goût que la dernière page de Pêcheur d’Islande). Il pourrait dire de Colette Baudoche ce que M. André Gide dit de son Enfant Prodigue. « Peut-être cependant, si le lecteur exige de moi quelque piété, ne la chercherait-il pas en vain dans ma peinture, où, comme un donateur dans le coin du tableau, je me suis mis à genoux. » Il a montré Bossuet prêchant à Metz, dans Saint-Maximin « contre les protestants avec la manière d’un général refoulant une armée ennemie ». Disons qu’il a écrit Colette Baudoche à la manière d’un administrateur français en bleu horizon dans la Lorraine reconquise. On pense un peu à Sturel chez Gallant de Saint-Phlin. C’est une évocation intelligente du dehors plutôt qu’une évocation partie du dedans, et M. Barrès lui-même l’explique avec une légèreté presque musicale : « C’est au lendemain d’une mort, quand un logement a perdu son âme et que ces pauvres choses gisent dans la poussière, que l’on mesure le miracle accompli par ceux qui, d’un tel néant, savent créer plus qu’un décor agréable, un exemple de politesse et de décence[2]. »

Le dernier des romans lorrains de M. Barrès, la Colline Inspirée, paraît plus étoffé, plus robuste que les deux Bastions de l’Est. On y trouve les qualités d’abondance des Déracinés unies aux qualités de finesse d’Au Service de l’Allemagne. C’est l’œuvre la plus solide et la plus pleine qu’ait écrite M. Barrès, le meilleur métal qu’il ait trempé. Là aussi, pourtant, on voudrait couper beaucoup dans l’abondance du commentaire perpétuel dont il retarde et alourdit l’ordre et le mouvement de ses pensées, de ses images et de ses types. Un exemple entre cent. Les trois frères Baillard vont solliciter partout pour leurs œuvres, « et Léopold pénètre, jusqu’à la Burg impériale de Vienne. Il y obtient une audience et des subsides. Quelle belle image quand Léopold Baillard apparaît au pied du trône des Habsburg--

  1. Colette Baudoche, p. 28.
  2. Id., p. 38.