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IV
LA POLITIQUE

M. Barrès, qui a joué des rôles politiques brillants et qui a donné à la vie politique une part notable de son existence, a-t-il tenu une place éminente et qui comptera dans l’histoire politique de son temps ? Oui et non. Le Simon de l’Homme Libre, en politique, n’admettait que Chateaubriand au Congrès de Vérone. Et il est de fait que l’on comprend assez l’attitude de M. Barrès en la rapprochant de celle de Chateaubriand. La politique est chez les romantiques la nourriture naturelle d’une sensibilité exigeante, la ressource d’un homme qui se sent menacé de bâiller sa vie. M. Barrès, à la différence de Chateaubriand, semble avoir fini par se fondre à peu près dans son personnage politique, excellent spécimen de ces caractères qui, au temps de sa jeunesse, lui paraissaient si bien dénués d’intérêt. C’est au moment où elle est entrée dans son repos, sa plénitude et sa gloire (tout ce que ses humeurs sombres ne permettaient pas à Chateaubriand) que la vie politique de M. Barrès cesse de fournir matière aux réflexions que nous enseigna l’Homme Libre. Il était évidemment plus piquant de le voir, comme il disait, se plier aux conditions de sa réussite, et faire de curieuses façons avant d’entrer dans la machine d’où sont sortis ces jambons et ces saucisses que par lui nous touchions naguère chaque jour au ravitaillement moral que nous faisait tenir l’Écho de Paris.

M. Barrès nous a montré sous des couleurs peu engageantes la manière dont Suret-Lefort se résoud, le premier des sept Lorrains, à convertir sa réalité vivante en ces produits de charcuterie. Cela se passe au barreau, mais vaut pour la politique dont le barreau n’est qu’un échelon : « Il quitta la manière de ces jeunes gens qui jamais n’oubliaient de situer dans l’universel l’objet dont ils traitaient, et qui par là évitaient bien des exagérations : il accepta le préjugé ordinaire qui est de considérer la beauté dont on parle comme la plus belle