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CONCLUSION

Aux funérailles de Déroulède, M. Barrès, disions-nous, rappelait ce mot d’un ancien : Si vous avez vu un homme un, vous avez vu une grande chose. Il ne faut pas douter que dans un tel mot ne soit impliqué chez lui un retour sur lui-même. M. Barrès a dû envier la pure unité de bronze d’une vie comme celle de Déroulède, dont il a donné cette formule lucide : « Déroulède a toujours transformé rapidement les mouvements de sa vie intérieure en pensées très claires et puis en actes, en gestes accessibles au public. Pas plus que ses aspirations ne sont demeurées dans les parties obscures de son être, il n’entend qu’elles demeurent derrière le mur de sa maison. Pour ce fils de Corneille, il faut que tout se passe au grand jour de la raison et au plein jour du public à qui un héros appartient[1]. » Que tantôt il s’en loue ou que tantôt il s’en blâme, ce n’est pas cette unité que nous trouvons en M. Barrès. Ces plans divers, qui chez un Déroulède se tiennent et se commandent, forment chez M. Barrès autant de mondes distincts dont chacun voudrait vivre toute sa vie, dont la subordination, exigée par une expérience qui sait les limites humaines et imposée par une discipline demeure toujours précaire. Si Déroulède est un fils de Corneille, M. Barrès appartient à la lignée de Racine, par les vers de qui, dit-il dans les Amitiés Françaises, un long stylet nous pénètre au cœur.

Et pourtant il est un, lui aussi, et en voyant cet homme un nous voyons une belle chose, une des plus belles choses françaises d’aujourd’hui. Ce n’est pas une unité donnée, c’est une unité qui se cherche, qui ne se chercherait pas si elle ne s’était trouvée, et dans la réalisation de laquelle demeurent encore visibles et actifs tous les esprits de la recherche. M. Barrès essaye de nous en indiquer la formule lorsqu’il

  1. La Croix de Guerre, p. 185.