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LA LOGIQUE DU VRAI

de deux idées en a donc produit une troisième qui n’a pas de réalité en dehors de cette association, et qui disparaît de la raison dès qu’on envisage les deux idées dissociées.

III
LES CONTRAIRES

M. René Berthelot, dans son livre sur le bergsonisme, signale assez justement chez M. Bergson un procédé de discussion qui classe toutes les solutions d’un problème sous deux chefs antithétiques, montre que ces deux solutions contraires ont un postulat commun, et, par une critique de ce postulat, que ce problème n’avait pas lieu d’être posé, du moins en ces termes. On peut trouver à la répétition de ce procédé un caractère un peu artificiel, mais en est-il un autre pour démasquer les faux problèmes ? Cette dialectique tient d’ailleurs à une tournure générale de la philosophie bergsonienne, à une façon de penser dualiste (je ne dit pas un dualisme). Cette philosophie se rattache au courant d’Héraclite, comme la philosophie opposée, celle des dialecticiens, se relie à Parménide. Or toute philosophie de la mobilité et de la durée implique une philosophie des contraires. Si vivre est durer et si durer est changer, les contraires, en se succédant dans la durée, en marquant comme des coups de timbale le rythme du changement, sont incorporés à cette durée. Le changement est d’autant mieux senti, d’autant plus réel, que les états de ce changement sont plus différents, et la limite du différent c’est le contraire. Il n’y aurait pas de conscience sans contrariété, et l’idée de contraire réside en grande partie dans la coupe logique que nous faisons sur cette contrariété. Tout se passe comme si le sentiment de la contrariété libérait en conscience une énergie potentielle, ainsi que, dans une chute d’eau, par le brusque passage du haut au bas, est convertie en force vive libérée l’énergie potentielle de la masse.

De sorte que la tendance d’une idée ou d’un problème philosophique à se polariser en deux opinions contraires répond à une ten-