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philosophie, dans lesquelles la pratique, la science et l’intelligence découpent, comme sous les cônes d’un faisceau lumineux, des parties de fait. Être philosophe c’est avoir l’intuition de ces totalités, c’est penser par totalités, mais par totalités vivantes : totalité de l’être intérieur par delà la coupe de réalité consciente qu’utilise de nous la société, totalité de l’élan universel par delà les formes sur lesquelles nous agissons, totalité de l’action par delà les points d’appui matériels dont elle est captive. Il y a une perception en droit, qui dépasse infiniment nos sens et qui comprend toute la matière. Il y a une mémoire en droit qui dépasse infiniment notre cerveau et qui coïncide avec tout notre passé, avec tout le passé héréditaire. Il y a une pensée en droit qui dépasse infiniment les idées et les images en lesquelles nous l’arrêtons et l’utilisons. L’intuition philosophique nous ferait, si elle était parfaite, coïncider avec ces totalités de droit. C’est ce dont tous les grands philosophes ont eu conscience. Mais l’aspect de ces totalités que M. Bergson nous fait voir de façon originale, c’est leur aspect dynamique. Toute totalité vraie, sauf celle de la matière, est totalité dans la durée, totalité de mouvement. Plus précisément la vraie totalité on doit la voir dans l’exigence de la totalité, dans la création d’un plus. « L’esprit tire de lui-même plus qu’il n’a, dans une joie qui est la manifestation des intentions fondamentales de la vie. La fin visée par la vie dans la constitution de la personne, c’est de parvenir à posséder quelque chose en plus que ce qui était au principe par la création entièrement libre. »

VII
L’INTUITION

Les directions bergsoniennes que nous venons d’énumérer sont comme autant de rivières qui forment dans le système le modelé de son terrain. Mais ces rivières vont à un fleuve, à l’artère centrale de la doctrine, qui est l’intuition.

On n’a pas manqué de cueillir dans les ouvrages de M. Bergson