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LE MONDE QUI DURE

disait Leibnitz, mais dans la modification de la connaissance de l’objet, que les monades sont bornées. Elles vont toutes confusément à l’infini, au tout ; mais elles sont limitées et distinguées par les degrés des perceptions distinctes[1]. » Disons les nécessités d’actions distinctes, la division du travail vital représentée par les individus.

La vie individuelle, étant physique, est limitée par la matière, et, pour l’intelligence, est limitée dans la matière. Mais il est, sur ses bords, des points par où nous éprouvons et voyons le saut de l’élan vital hors de la matière, c’est-à-dire hors de l’individu. D’abord l’amour. Ce qui sauve dans l’individu humain l’élan vital, c’est la génération sexuée. M. Bergson remarque qu’elle n’est qu’un luxe presque superflu dans le monde végétal, où sa présence nous révèle peut-être un caractère original et profond de l’élan vital, antérieur à la séparation des règnes. C’est dans l’amour, dans la reproduction, dans la maternité, que l’individu cesse presque d’exister statiquement pour devenir le lieu de passage de la vie. Mais mieux encore que ces moments privilégiés de l’individu, la vie sociale nous montre un état de l’élan vital différent de l’état individuel, puisqu’une société est un être dynamique sans substrat physique, sans corps, quoique pourvu de mémoire et de quasi-conscience, ou même de supra-conscience. La sociologie est en voie de progrès assez rapides pour nous permettre bientôt de mettre sous ces termes autant de riche contenu qu’en présentent chez M. Bergson les termes psychologiques correspondants. L’étude intérieure des sociétés humaines nous fera saisir bien des caractères aujourd’hui inattendus de l’élan vital, sur lequel M. Bergson n’a pratiqué, jusqu’ici du moins, que des coupes psychologiques et cosmologiques.

III
LA LIBERTÉ

Il ne serait sans doute pas exact de dire que la philosophie de M. Bergson a cristallisé autour du problème de la liberté. Même sa

  1. Monadologie, par. 60.