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LES DIRECTIONS

une éternité de mort, mais une éternité de vie. Éternité vivante et par conséquent mouvante encore, où notre durée à nous se retrouverait comme les vibrations dans la lumière, et qui serait la concrétion de toute durée comme la matérialité en est l’éparpillement. Entre ces deux limites extrêmes, l’intuition se meut, et ce mouvement est la métaphysique même[1]. » Nous rejoignons ici les mystiques alexandrins et chrétiens, tous ceux qui, depuis Plotin, ont vu dans la vie intérieure une tension, dans la vie supérieure un approfondissement ou une exaltation de cette tension, et dans la vie divine sa plénitude.

V
UNE PHILOSOPHIE DE L’ACTION

La philosophie bergsonienne est une philosophie de l’action, et prend place à ce titre dans un groupe considérable de philosophies contemporaines. Le pragmatisme aussi pose violemment le primat de l’action, et, sur un ton plus modéré, ce primat reste un lieu commun de la philosophie courante des trente ou quarante dernières années. Diogène est devenu un grand philosophe pour avoir réfuté en marchant les arguments de Zénon. « Son seul tort, dit M. Bergson, fut de faire le geste sans y joindre un commentaire. » Mais, dès que le commentaire devient le principal, Zénon, chassé par la porte, rentre par la fenêtre.

Il faut bien s’entendre sur le sens de cette philosophie de l’action, et surtout il ne faut pas faire de M. Bergson un pragmatiste. Sa philosophie n’a jusqu’ici présenté aucun caractère pratique, n’est arrivée à aucune conclusion morale. Il est resté un psychologue et un métaphysicien, ne s’est encore attaché qu’à une réforme de la spéculation. Mais précisément il lui a paru que la spéculation elle-même s’expliquait par les nécessités de l’action, qu’une doctrine critique des catégories restait suspendue dans le vide si ces catégories n’étaient pas

  1. Introduction à la Métaphysique, p. 24.