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LE BERGSONISME

chez Platon, que des moments de la recherche, qui, d’une façon générale, aboutit à ce simple, qu’est l’Idée. C’est juste. Seulement ne trouvons-nous pas dans le bergsonisme lui-même quelque chose d’analogue, — les traces de l’Idée et les survivances du platonisme éternel ? Si nous naissons vraiment platoniciens, il est probable que nous le demeurons toujours par un certain biais, et cela en partie parce que le platonisme correspond tout de même à une articulation réelle des choses.

Le moyen terme par lequel platonisme et bergsonisme, venus l’un de l’intemporel et l’autre du temporel, paraîtraient incliner l’un vers l’autre, ce serait, à ce qu’il me semble, cet élément si important de la psychologie et de la métaphysique bergsoniennes que sont les schèmes dynamiques. Pour aider notre esprit à réaliser le schème dynamique lui-même d’une telle concordance, aidons-nous de la théorie kantienne de l’Einhildungskraft (le mot d’imagination, par lequel on rend d’ordinaire le mot allemand, prête à trop d’équivoques), qui est, entre l’entendement et la sensibilité, la faculté de tracer des schèmes. On peut dire, en se plaçant au point de vue de la Critique de la Raison pure, que, dans l’ensemble, la philosophie des Idées répondrait à une philosophie de l’entendement, celle de l’élan vital à une philosophie de la sensibilité. Or, on passe bien de l’une à l’autre par quelque chose d’analogue, aux schèmes kantiens, à savoir ces schèmes dynamiques qu’on pourrait définir des Idées de mouvement et de durée.

Considérons celui de ces schèmes sur lequel M. Bergson, dans l’Évolution Créatrice, a le plus profondément insisté, — la marche à la vision. M. Bergson se trouve en face des explications mécanistes de l’œil, explications lamarckiennes et explications darwiniennes, et, comme philosophe, il n’a pas de peine à montrer à quel point elles sont insuffisantes : le plan de toute critique de ce genre a d’ailleurs été tracé par Platon dans le passage du Phédon où Socrate indique pourquoi les théories des prédécesseurs d’Anaxagore, et celles d’Anaxagore lui-même ne l’ont pas satisfait. Et lorsque M. Bergson apporte son explication, il l’apporte dans un esprit platonicien. Le Socrate de Platon trouve la réponse à ses questions dans une unité spirituelle statique, M. Bergson la trouve dans une unité spirituelle dynamique. Dans l’œil, « c’est ce contraste entre la complexité de l’organe et l’unité de la fonction qui déconcerte l’esprit[1] ». Mécanisme et finalisme

  1. Évolution Créatrice, p. 96.