Aller au contenu

Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume III – TII.djvu/208

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
194
LE BERGSONISME

général de l’intellectualisme platonicien est conduit, par le génie d’artiste du philosophe, vers la création d’individus, vers la figure de Socrate, vers cette réalité humaine et divine qu’est la vie philosophique. Et, chez M. Bergson, les données immédiates de la conscience individuelle nous font saisir dans leurs rythmes mêmes ces schèmes dynamiques de l’élan vital, en lesquels nous reconnaissons comme une libération et une mobilisation des Idées platoniciennes.

Le platonisme, nous dit M. Bergson, est la philosophie naturelle de l’intelligence. Et par platonisme il entend la philosophie des Idées, interprétées traditionnellement comme des entités transcendantes. Mais en creusant le platonisme dans la direction socratique, nous trouvons des lignes par lesquelles il dessine une philosophie je ne dirais pas naturelle, mais à la fois spontanée et subtile (comme celle de M. Bergson lui-même), de l’intuition. Une philosophie, dit M. Bergson, est vivante par ses intuitions et non par ses constructions systématiques qui en sont au contraire la partie périssable. Or quel grand philosophe a, plus que Platon, donné à l’intuition, et, moins que lui, à la construction systématique ? Quand celle-ci intervient trop, comme dans le Parménide, certain sourire nous avertit qu’elle n’est présentée que comme une gymnastique de la pensée et un exercice d’école. La philosophie de M. Bergson a trouvé ses ennemis dans les deux scolastiques que signale la dernière phrase de l’Évolution Créatrice ; elle n’en saurait trouver d’aussi farouches dans les esprits qui auront vraiment vécu dans la familiarité de Platon.

Ravaisson, qui fut, dans une certaine mesure, un inspirateur de M. Bergson, et qui en tout cas établit quelque liaison entre lui et le spiritualisme universitaire, avait philosophé sous le signe d’Aristote, dont la doctrine lui apparaissait comme le roc de la métaphysique éternelle. M. Bergson, qui consacra à un point de physique aristotélicienne sa thèse latine (Quid Aristoteles de loco senscrit) semble avoir fait autrefois une étude approfondie d’Aristote, avoir pris contact avec cette Acropole de l’intelligence antique. Un passage de sa Notice sur la vie et les travaux de Félix Ravaisson, qu’il remplaça à l’Académie des Sciences Morales, nous indique sans doute l’impression générale qu’il en a gardée : « Quels sont les éléments impliqués dans la pensée ou dans l’existence ? Qu’est-ce que la matière, la forme,