Page:Thibaudet - Gustave Flaubert.djvu/13

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d’anticléricalisme d’ailleurs. On penchait vers le déisme plutôt que vers le matérialisme du XVIIIe siècle. Les choses religieuses n’intéressaient la maison que dans la mesure où une chapelle et un aumônier sont réglementaires dans un hôpital, comme une salle de dissection et des infirmiers.

Flaubert est de ceux autour desquels le biographe ne doit pas manquer de placer comme une valeur essentielle l’atmosphère de la famille. Ne s’étant pas marié, il n’en eut pas de nouvelle. Il vécut toujours avec ses parents, son père d’abord, qui mourut en 1846, puis sa mère avec laquelle il passa fidèlement presque toute son existence. Il a eu le culte de ce père (le docteur Larivière de Madame Bovary) et de cette mère. Il sacrifia, sur la fin de sa vie, sa fortune à sa nièce. Au moment des poursuites contre Madame Bovary, ce mangeur de bourgeois se réfugie, comme dans une citadelle, dans l’intégrité bourgeoise des Flaubert. « Il faut, écrit-il à son frère, qu’on sache au ministère de l’Intérieur que nous sommes à Rouen ce qui s’appelle une famille, c’est-à-dire que nous avons des racines profondes dans le pays, et qu’en m’attaquant, pour immoralité surtout, on blessera beaucoup de monde[1]. » Mais on ne s’étonnera pas de voir que l’auteur de Madame Bovary s’accordait intellectuellement mal avec « ce qui s’appelle une famille ». Pendant dix ans, il se cacha pour écrire. Son père méprisait toute littérature, et s’endormit la première fois que Gustave lui lut une de ses œuvres. Le fils aîné, Achille Flaubert, qui fut comme son père médecin-chef de l’Hôtel-Dieu, était une intelligence pratique, courte et sèche, qui avait avec celle de son frère peu de points de contact et de sympathie ; les deux frères ne s’en rendirent pas moins à peu près tous les services qu’ils purent, en s’accordant d’autant mieux qu’ils vivaient moins l’un avec l’autre. Le plus grande affection d’enfance de Gustave fut pour sa sœur Caroline, compagne de ses études, de ses découvertes, de sa littérature d’enfance, qui, mariée malgré sa faible santé contre le vœu de Gustave, mourut deux mois après son père, quand Flaubert avait vingt-cinq ans. À partir de ce moment, la maison devient très sombre. La mère de Flaubert tombe dans une neurasthénie

  1. Correspondance, t. III, p. 141.