Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/47

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lui construisait la vie ? Par le Fontainebleau forestier d’octobre, « des torches consument, dans une haute garde, tous rêves antérieurs à leur éclat répercutant en pourpre dans la nue l’universel sacre de l’intrus royal qui n’aura eu qu’à venir[1] ». La Gloire, ici, reprend, sous l’incantation de l’automne, son sens intact, pur et plein, celui d’un or circulaire sur un visage sacré.

De grandes avenues de songe, du silence autour de lui, l’effacement qui recule, dans l’Après-Midi d’un Faune, de longues lignes à la Puvis, voilà seulement ce qu’il demande à la nature, et la fleur légère qu’il en veut cueillir, ou mieux la page blanche dont il lui plaît de disposer. Et c’est le sens aussi que je donne à sa passion de la yole, sur l’eau, le seul déplacement du corps qui lui plût. Là le suivait l’hallucination de la page blanche, par l’élément docile, la page blanche, pour le poète, dans quelque ciel platonicien, celle qui, sans cesse déplacée et refaite, sous le mol hasard de la rame, se peuple de reflets sans cesser d’être vierge, repense sans substance et sans poids un univers transfiguré.

Mais, devant la nature immédiate, étalée et brute, ce qui domine en ce délicat nerveux c’est la fatigue et l’angoisse. Les pièces du Premier Parnasse, les Fenêtres, Renouveau, Las de l’amer repos, l’Azur, Brise marine, convergent vers un même sentiment, trop répété pour n’être pas sincère et profond. Lorsque cette exaspération baudelairienne se calme, sa sensibilité se tourne en un goût fervent de la maison, qui est autour de lui comme un cerveau extérieur. Je vois en lui une âme septentrionale. Peut-être se la fit-il un peu dans l’atmosphère de Londres, où il passa des mois de jeunesse douloureuse. Non sans ces oscillations dues à la présence d’un port, où voisine le quai des départs avec le home le plus intime : brise marine, qui apporte des chants de fuite et des visions d’îles perdues.

  1. Divagations, p. 46.