Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/48

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La chair est triste, hélas! et j’ai lu tous les livres.
Fuir ! là-bas fuir ! je sens que des oiseaux sont ivres
D’être parmi l’écume inconnue et les cieux...
Je partirai...

Fatigue, au foyer, d’impuissant et de délicat qui ne partira pas, senteur seulement d’un fruit exotique ou d’un bibelot d’Orient qu’il roule dans ses doigts. À l’éclat de la nature extérieure et lointaine, il dut répondre moins par la tendresse fière de la Maison du Berger, moins par l’ironique désillusion du Voyage, que par la fièvre intellectuelle de l’idéaliste, celle qui s’exalte au quatrième acte d’Axël. Le seul désert pour lui, l’espace où la gorge brûle dans une nature hostile, c’est

             la clarté déserte de la lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend.

Et nulle souffrance du voyage, nul orgueil du retour, quelques secrets nouveaux dans la main, ne valaient ceux-là dont la tragédie tout entière se jouait dans ce cercle de solitaire clarté. La blancheur du papier figurait pour ces nerfs hallucinés un ennemi aussi présent, une matière à peine et à triomphe aussi dure, réellement, que le soleil sur les sables, ou la tempête et l’infini sur la mer.

Ce désir d’une poésie de la maison, fleur montée de la lampe, nous est indiqué dès ses premiers vers par Las de l’amer repos, qui, au même titre que la Prose pour des Esseintes, est presque un Art Poétique. Art Poétique d’ailleurs très parnassien, peu éloigné de celui sur lequel Verlaine fermait les Poèmes Saturniens.

À nous qui ciselons les mots comme des coupes...

Mais le sien, Mallarmé l’avoue — et cette modestie aussi est peut-être plus parnassienne qu’il ne semble — comme un pis-aller, résigné et lucide. Découragé d’une poésie pour laquelle il endure un martyre stérile, il va