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Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/49

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maintenant, ainsi que le Chinois, peindre pour sa maison des porcelaines, des tasses de neige ; et, comme dans les Fleurs il s’épuise vite à renouveler sur les merveilles d’un jardin son inspiration, comme dans l’Azur il ferme douloureusement ses fenêtres, maintenant il s’isole dans ses objets familiers, indiquant, dès le Parnasse, sous une figure d’exotisme, la matière de ses derniers sonnets.

Ce que, pour un poète de la nature, pour un faune vrai comme Francis Jammes, sont les arbres, les fleurs, les bêtes, la maison aussi dans laquelle entre le paysage par les fenêtres, pour la baigner et la tremper de joie comme une mère, au matin, sous l’éponge qui ruisselle, fait de fleur fraîche les joues de l’enfant qui rit, tout cela chez Mallarmé, s’enclôt dans le mystère des chambres septentrionales, celles qui défendent du froid, celles où montent du bois les esprits du feu ; et sur tous les objets son rêve jette comme ce feu des reflets de chimère qui rôde.

Dans cette amitié frileuse du Hollandais pour la maison, le froid lui fournit invinciblement les images de l’abandon et de la détresse.

Moi, sylphe de ce froid plafond.

Il appelle, lorsqu’elle reprend Ponsard, l’administration de l’Odéon « prêtresse d’une crypte froide[1] »,

Ô la berceuse, avec la fille et l’innocence
De vos pieds froids,

dit-il dans le Don du Poème ; — et là n’éprouve-t-on pas le froid, plus douloureux à la main de ce nerveux qui touche les pieds nus de la fillette qu’à l’enfant elle-même, souriante et qui ne le sent pas ?

Une poésie ancienne, surannée, évoque pour lui de la poussière sur un meuble ou sur un objet : méticuleuse manie de Hollandais pour qui la poussière, l’araignée, sont le mal. Voyez dans le Frisson d’Hiver l’hallucina-

  1. Divagations, p. 223.