Page:Thoreau - Walden, 1922.djvu/158

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qui allait et venait doucement selon le pouls de l’étang ; et là eût-elle pu rester ainsi debout à aller et venir jusqu’à ce qu’au cours du temps le manche pourrît, si je n’étais intervenu. Pratiquant un autre trou droit au-dessus à l’aide d’un ciseau à glace que je possédais, et coupant avec mon couteau le plus long bouleau que je pus trouver dans le voisinage, je fis un nœud coulant que j’attachai à son extrémité, le laissai descendre avec précaution, le passai par-dessus la pomme du manche, puis le tirai à l’aide d’une ligne le long du bouleau, grâce à quoi je fis remonter la hache.

La rive, qui se compose d’une ceinture de pierres blanches polies et arrondies comme des pierres de pavage, à part une ou deux étroites baies de sable, est tellement escarpée qu’en maints endroits il suffira d’un saut pour vous mettre dans l’eau jusque par-dessus la tête ; et n’était sa remarquable transparence, ce serait tout ce qu’il y aurait à voir de son fond jusqu’à ce qu’il se relève sur le côté opposé. D’aucuns le croient sans fond. Nulle part il n’est bourbeux, et un observateur de passage dirait qu’il n’y a pas la moindre herbe dedans ; et en fait de plantes à noter, sauf dans les petites prairies nouvellement inondées, qui ne sont point à proprement parler de son domaine, un examen plus attentif ne découvre ni un iris, ni un jonc, pas même un nénuphar, jaune ou blanc, rien que quelques petites luzernes, quelques potamots, et peut-être un plantain ou deux ; lesquels tous, cependant, un baigneur pourrait ne pas apercevoir ; plantes qui sont nettes et brillantes comme l’élément dans lequel elles poussent. Les pierres s’étendent à une ou deux verges dans l’eau, après quoi le fond est sable pur, sauf dans les parties les plus profondes, où se trouve d’ordinaire un petit dépôt, provenant sans doute de la chute des feuilles qui ont volé jusque-là au cours de tant d’automnes successives ; et on ramène sur les ancres une brillante herbe verte même en plein hiver.

Nous avons un autre étang tout pareil à celui-ci – l’Étang Blanc à Nine Acre Corner[1], à environ deux milles et demi vers l’ouest ; mais bien que je sois en relations avec la plupart des étangs à une douzaine de milles à la ronde, je n’en connais pas un troisième de ce caractère pur, de ce caractère de source. Des nations successives, il se peut, y ont bu, l’ont admiré et sondé, puis ont passé, encore que l’eau en soit verte et limpide comme jamais. Rien d’une source intermittente ! Peut-être en ce matin de printemps où Adam et Ève furent chassés de l’Éden, l’Étang de Walden était-il en vie déjà, dès lors s’évaporant en douce pluie printanière accompagnée de brouillard et d’un petit vent du sud, et couvert de myriades de canards et d’oies, qui n’avaient

  1. Petit village au sud de Concord.