Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/177

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une autre qu’on ne leur eût restitué Cynurie. Les Lacédémoniens sentaient l’impossibilité de soutenir à la fois la guerre contre Argos et contre Athènes ; ils soupçonnaient d’ailleurs quelques villes du Péloponnèse d’être près de se tourner vers le parti des Argiens ; et c’est ce qui survint en effet.

XV. Comme de part et d’autre on s’occupait de ces raisonnemens, on crut devoir s’accorder, et Lacédémone surtout, par l’envie de retirer les guerriers pris à Sphactérie. Il se trouvait entre eux ses Spartiates des premières conditions, et liés de parenté avec les plus illustres familles. Dès l’instant de leur captivité, on avait négocié leur délivrance ; et les Athéniens, dans leur prospérité, avaient refusé de l’accorder à des conditions raisonnables ; mais ils n’avaient pas été plus tôt humiliés à Délium, que les Lacédémoniens avaient saisi cette occasion, certains alors d’être mieux reçus ; ils avaient conclu la trêve d’un an, pendant laquelle devaient se tenir des conférences pour délibérer sur une plus longue pacification.

XVI. Elle devint plus facile après la défaite des Athéniens à Amphipolis, et la mort de Cléon et de Brasidas. C’était eux qui, des deux côtés, s’étaient le plus opposés à la paix, l’un parce que la guerre était la source de ses prospérités et de sa gloire ; l’autre, parce qu’il sentait qu’on temps de paix, on verrait mieux qu’il n’était qu’un scélérat, et que ses calomnies obtiendraient moins de confiance. Mais quand ils ne furent plus, ceux qui avaient le plus de part au gouvernement des deux républiques, Plistoanax, fils de Pausanias, roi de Lacédémone, et Nicias, fils de Nicératus, le général de son temps qui avait le plus de succès, montrèrent un penchant décidé pour le repos. Nicias, avant d’éprouver des revers, et pendant qu’il jouissait de l’estime publique, voulait, pour le moment présent, mettre à l’abri ses prospérités, goûter la tranquillité après les fatigues, et en faire jouir la patrie ; pour l’avenir, il aspirait à laisser la réputation de n’avoir jamais trompé l’espérance de l’état. Il pensait que du calme seul pouvaient naître ces avantages, qu’on ne saurait les obtenir qu’en ne donnant rien au hasard, et que la paix seule était exempte de danger. Pour Plistoanax, ses ennemis le tourmentaient au sujet de son rappel[1], habiles à susciter des scrupules aux Lacédémoniens, et ardens à le leur reprocher sans cesse à chaque revers, comme si leurs malheurs n’avaient d’autre cause que ce rappel qu’ils traitaient d’illégal. Ils l’accusaient, ainsi qu’Aristoclès son frère, d’avoir gagné la prêtresse de Delphes, et d’avoir long-temps fait donner pour réponse aux théores[2] qui venaient de Lacédémone consulter l’oracle, qu’ils eussent à rappeler chez eux des terres étrangères la race du demi-dieu, fils de Jupiter, s’ils ne voulaient pas labourer la terre avec un soc d’argent[3]. Plistoanax s’était réfugié sur le Lycée, parce qu’on avait attribué son retour de l’Attique aux présens qu’il avait reçus. Il habitait l’enceinte consacrée à Jupiter, et y occupait la moitié de la chapelle, par crainte des Lacédémoniens. Il fut enfin rappelé au bout de dix-neuf ans, et l’on solennisa son retour par les mêmes chœurs de chants et les mêmes sacrifices qui avaient été institués pour l’inauguration des rois lors de la fondation de Lacédémone.

XVII. Affligé de ces propos dangereux, il crut que, dans la paix, quand les Lacédémoniens, à l’abri des adversités, auraient recouvré leurs prisonniers, il cesserait de se trouver en prise à ses ennemis ; au lieu qu’en temps de guerre, on ne pouvait jouir de l’autorité, sans être exposé nécessairement aux calomnies, dès qu’il survenait quelques revers. Il travailla donc avec ardeur à un accommodement. Pendant l’hiver, on porta des paroles de paix ; et à l’arrivée du printemps, les Lacédémoniens se mirent en mouvement, firent des préparatifs, et envoyèrent dans toutes les villes, comme s’ils eussent eu dessein de se fortifier dans l’Attique ; mais ils voulaient seulement rendre les Athéniens plus traitables. Enfin, après des conférences et bien des demandes faites de part et d’autre, on tomba d’accord que chacun rendrait ce qu’il avait pris pendant la guerre, et que les Athéniens garderaient Nisée. Ils avaient réclamé Platée, et les Thébains avaient répondu qu’ils garderaient cette place, parce que les habitans s’étaient jetés dans leurs bras par les suites d’une convention libre, et non par force ni par trahison ; Nisée, par les mêmes raisons, devait rester aux Athé-

  1. Voy., sur la disgrâce et l’exil de Plistoanax, liv. II, c. xxi.
  2. On appelait théores les citoyens députés pour quelques solennités religieuses, et pour consulter les oracles.
  3. C’est-à-dire voir leurs terres stériles, souffrir les horreurs de la famine, et acheter les vivres fort cher. (Scoliaste.)