libres toutes les villes. Comme Alcibiade avait à lutter pour de grands intérêts, il s’attachait étroitement à Tissapherne, et n’épargnait rien pour gagner sa faveur.
LIII. Les députés envoyés de Samos avec Pysander arrivèrent à Athènes ; ils parlèrent dans l’assemblée du peuple, et se contentèrent de traiter bien des articles en substance ; mais ils appuyèrent fortement sur ce qu’il était au pouvoir des Athéniens, en rappelant Alcibiade, et renonçant au gouvernement populaire, d’obtenir l’alliance du roi, et de l’emporter sur les peuples du Péloponnèse. Bien des voix s’élevèrent en faveur de la démocratie. Les ennemis d’Alcibiade s’écriaient qu’il serait odieux de voir rentrer dans Athènes un infracteur des lois ; les eumolpides et les céryces[1] attestaient les mystères profanés, cause de son exil, et imploraient la religion pour s’opposer à son retour. Pysander, sans se laisser intimider ni par les contradictions, ni par les complaintes, s’avance au milieu du peuple, fait approcher tous ceux qui le contredisent, et demande séparément à chacun d’eux sur quelle espérance ils comptent sauver la république, à moins qu’on ne parvienne à faire passer le roi dans leur parti, quand les Péloponnésiens n’ont pas moins qu’eux de vaisseaux en mer, quand ils ont un plus grand nombre de villes alliées, quand ils reçoivent de l’argent du roi et de Tissapherne, tandis qu’eux-mêmes n’en ont plus. Comme ceux qu’il interrogeait étaient forcés de répondre qu’ils n’avaient pas d’espérance : « Et nous n’en pourrons avoir, reprit-il hautement, qu’en mettant dans notre politique plus de modestie, qu’en donnant l’autorité a un petit nombre de citoyens pour inspirer au roi de la confiance, et en nous occupant moins, dans les circonstances actuelles, de la forme de notre gouvernement que de notre salut. Il nous sera permis de changer dans la suite, si quelque chose nous déplaît ; mais rappelons toujours Alcibiade, qui seul maintenant peut rétablir nos affaires.
LIV. Le peuple ne put entendre d’abord sans humeur parler de l’oligarchie ; mais comme Pysander montrait clairement qu’il n’était pas d’autre moyen de se sauver, il sentit de la crainte, conçut en même temps l’espérance que les choses pourraient changer, et céda. Il fut décrété que dix citoyens partiraient avec Pysander, et feraient pour le mieux dans ce qui concernait Alcibiade et Tissapherne. Sur les plaintes qu’il porta contre Phrynicus, on destitua celui-ci du commandement, ainsi que son collègue Scyronide, et l’on fit partir à leur place Diomédon et Léon. Pysander, jugeant que Phrynicus serait toujours contraire au retour d’Alcibiade, l’accusait d’avoir livré Iasos et Amorgès. Il fit des visites à tous les corps assermentés qui étaient chargés de la justice et de l’administration, leur conseilla de se concerter pour l’abolition de la démocratie, et ayant tout disposé de manière à ce qu’on n’éprouvât plus de longueurs dans les affaires, il mit en mer avec dix collègues pour aller trouver Tissapherne.
LV. Le même hiver[2], Léon et Diomédon joignirent la flotte des Athéniens, et firent voile pour Rhodes. Ils trouvèrent les vaisseaux du Péloponnèse tirés à sec, firent une descente, défirent les Rhodiens qui voulaient se défendre, et retournèrent à Chalcé. Ce fut de l’île de Cos que, dans la suite, ils firent le plus souvent la guerre, comme de l’endroit le plus commode pour épier si la flotte ennemie ne sortait pas de Rhodes pour se porter quelque part.
Xénophontidas, de Laconie, vint aussi de Chio à Rhodes, envoyé par Pédarite. Il annonça que les ouvrages des Athéniens étaient déjà terminés, et que c’en était fait de Chio, si on ne venait pas au secours avec toute la flotte. Il fut résolu de secourir cette île.
Cependant Pédarite, avec ce qu’il avait de troupes auxiliaires et avec les habitans de Chio, attaqua les retranchemens que les Athéniens avaient construits autour de la flotte, en enleva une partie, et se rendit maître de quelques vaisseaux qui avaient été mis à sec ; mais les Athéniens accoururent au secours. Les habitans de Chio prirent la fuite les premiers, le reste des troupes de Pédarite fut battu, lui-même fut tué ; il périt un grand nombre d’habitans de Chio, et bien des équipages de guerre devinrent la proie du vainqueur.
LVI. Après cet échec, les habitans de Chio, encore plus étroitement investis qu’auparavant par terre et par mer, furent tourmentés d’une grande famine.