Pysander et les collègues de sa députation, arrivés auprès de Tissapherne, entrèrent en conférence. Alcibiade n’était pas bien assuré de ce satrape, qui craignait encore plus les peuples du Péloponnèse que les Athéniens, et qui voulait continuer à les miner les uns et les autres, comme il le lui avait conseillé lui-même. Voici le moyen qu’il imagina de pallier le fait : ce fut que Tissapherne fît des demandes trop fortes pour que l’on pût s’accorder. Je pense bien aussi que c’était l’intention du satrape, et que la crainte la lui avait inspirée. Pour Alcibiade, voyant qu’il n’avait envie de terminer à aucune condition, il voulut, je crois, persuader aux Athéniens qu’il ne manquait pas de crédit auprès de lui, et que c’étaient eux qui ne faisaient pas des offres suffisantes, quand ce Perse était déjà tout décidé en leur faveur, et ne demandait qu’à embrasser leur parti. Il fit, au nom de Tissapherne, et en sa présence, tant de propositions outrées, qu’il empêcha de rien conclure, quoique les Athéniens en accordassent la plus grande partie. Il voulait qu’on livrât l’Ionie tout entière, ensuite les îles adjacentes, et faisait encore d’autres propositions que les Athéniens ne rejetaient pas. Enfin, à la troisième conférence, pour ne pas laisser voir clairement qu’il ne pouvait rien, il demanda qu’il fût permis au roi de construire une flotte, et de parcourir, à son gré, toutes leurs côtes avec le nombre de batimens qu’il jugerait à propos. Les Athéniens perdirent patience ; ils jugèrent que cela n’était pas probable, et qu’Alcibiade les avait joués. ils se retirèrent de dépit, et retournèrent à Samos.
LVII. Aussitôt après, et dans le même hiver[1], Tissapherne revint à Caune, pour ramener encore une fois les Péloponnésiens à Milet, faire avec eux, aux conditions qu’il serait possible, un nouveau traité, leur payer un subside, et ne pas avoir en eux des ennemis déclarés. Ses craintes étaient que, hors d’état de suffire à l’entretien de toute leur flotte, et forcés au combat par les Athéniens, ils ne fussent vaincus, ou qu’ils ne laissassent leurs vaisseaux dénués d’équipages, et que les Athéniens ne parvinssent à leur but, sans avoir besoin de son assistance ; mais il craignait surtout que, pour se procurer des vivres, ils ne ravageassent le continent. Pour toutes ces raisons, et dans la vue de suivre son objet, qui était de rendre égales entre elles les puissances de la Grèce, il fit venir les Péloponnésiens, leur paya le subside, et fit, pour la troisième fois, l’accord suivant :
LVIII. « La treizième année du règne de Darius, Alcippidas étant éphore de Lacédémone, cet accord a été fait dans la plaine de Mæandre, entre les Lacédémoniens et leurs alliés d’une part, et de l’autre, Tissapherne, Iéraméne et les enfans de Pharnace, pour les intérêts du roi, des Lacédémoniens et de leurs alliés.
« Tout le pays du roi qui fait partie de l’Asie restera sous sa domination, et il le tiendra sous sa volonté.
« Les Lacédémoniens et leurs alliés n’entreront dans le pays du roi avec aucune mauvaise intention, ni le roi dans le pays des Lacédémoniens et de leurs alliés.
« Si quelqu’un de Lacédémone, ou d’entre les alliés, va sur le pays à mauvaise intention, les Lacédémoniens et leurs alliés y mettront obstacle ; et si quelqu’un de la domination du roi marche contre les Lacédémoniens pour leur nuire, le roi s’y opposera.
« Tissapherne paiera à la flotte actuelle le subside convenu, jusqu’à l’arrivée de la flotte du roi.
« Après l’arrivée de la flotte du roi, si les Lacé démoniens et leurs alliés veulent soudoyer leur flotte, ils en seront les maîtres. S’ils veulent recevoir le subside de Tissapherne, il le leur paiera ; mais la guerre terminée, les Lacédémoniens et leurs alliés rembourseront à Tissapherne tout l’argent qu’ils en auront reçu.
« Quand les vaisseaux du roi seront arrivés, la flotte des Lacédémoniens, celle des alliés et celle du roi, feront la guerre en commun, suivant que le jugeront à propos Tissapherne, les Lacédémoniens et les alliés ; et s’ils veulent faire la paix avec les Athéniens, ils la feront d’un commun accord. »
LlX. Telles furent les clauses du traité. Ensuite Tissapherne se disposa à faire venir, comme il en était convenu, la flotte de Phœnicie, et à remplir toutes ses autres promesses. Il voulait qu’on ne pût douter qu’il ne s’en occupât.
LX. Des Bœotiens, à la fin de l’hiver, prirent par intelligence Orope, où les Athéniens avaient une garnison[2]. Ceux qui les secondèrent étaient des gens d’Érétrie, et même des Oropiens qui