Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/287

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tramaient le soulèvement de l’Eubée. Comme cette place domine Érétrie, il était impossible, tant qu’elle appartiendrait aux Athéniens, qu’elle ne l’incommodât pas beaucoup, ainsi que le reste de l’Eubée.

Maîtres d’Orope, les Érétriens passèrent à Rhodes, et appelèrent les Péloponnésiens dans l’Eubée. Mais ceux-ci étaient plus pressés de porter des secours à Chio qui se trouvait dans une fâcheuse position. Ils partirent de Rhodes pour s’y rendre avec toute leur flotte. Ils étaient aux environs de Triopium, quand ils virent en haute mer les Athéniens venant de Chalcé. Les deux flottes ne s’avancèrent pas l’une contre l’autre ; mais les Athéniens allèrent à Samos, et les Péloponnésiens à Milet. Ceux-ci virent qu’il était impossible, sans livrer un combat naval, de secourir Chio. Cet hiver finit avec la vingtième année de la guerre que Thucydide a écrite.

LXl. L’été suivant, dès les premiers jours du printemps[1], Dercylidas de Sparte fut envoyé par terre dans l’Hellespont avec une armée peu nombreuse, pour faire révolter Abydos, colonie de Milet.

Les habitans de Chio, tourmentés du siège qu’ils avaient à soutenir, furent obligés de livrer un combat naval, dans le temps qu’Astyochus ne savait comment leur donner du secours. Il était passé avec Antisthène, en qualité de soldat de marine. Il était encore à Rhodes, quand ils reçurent de Milet pour commandant, après la mort de Pédarite, le Spartiate Léon qu’ils avaient mandé. Ils reçurent aussi douze vaisseaux qui gardaient Milet ; il y en avait cinq de Thurium, quatre de Syracuse, un d’Anæa, un de Milet, et un de Léon. Les habitans de Chio sortirent en masse, s’emparèrent d’un lieu fortifié par la nature, mirent en mer avec trente-six vaisseaux contre trente-deux d’Athènes, et livrèrent la bataille. L’action fut vive, et le jour touchait à sa fin, quand les gens de Chio et les alliés retournèrent à la ville sans avoir éprouvé de désavantage.

LXll. Ce fut aussitôt après ce combat, que Dercylidas, étant sorti de Milet par terre[2], Abydos, dans l’Hellespont, se souleva en faveur de ce Spartiate et de Pharnabaze ; deux jours après, Lampsaque suivit cet exemple. Strombichide apprit de Chio cette nouvelle, et se hâta d’aller au secours avec vingt-quatre navires athéniens ; de ce nombre étaient des bâtimens construits pour le transport des troupes ; ils étaient montés par des hoplites. Les habitans de Lampsaque firent une sortie ; il fut vainqueur, prit aussitôt d’emblée la ville de Lampsaque qui n’était pas murée, enleva les effets et les esclaves, rétablit les hommes libres dans leurs demeures, et prit le chemin d’Abydos. La place ne se rendit pas ; il y donna inutilement un assaut, et se rembarqua pour aller à Sestos, ville située sur la côte opposée. Il en fit une forteresse pour la garde de l’Hellespont.

LXIII. Cependant les habitans de Chio et les Péloponnésiens de Milet devinrent plus maîtres de la mer qu’ils ne l’avaient été[3]. Astyochus prit courage à la nouvelle du combat naval et du départ de Strombichide et de la flotte ennemie. Il passe à Chio avec deux bâtimens, en fait sortir les vaisseaux, et cingle vers Samos avec la flotte entière. Mais comme les ennemis, dans la défiance les uns des autres, ne parurent pas à sa rencontre, il revint à Milet.

C’est, en effet, vers cette époque, et même auparavant, que la démocratie fut abolie à Athènes[4]. Quand Pisander et ses collègues étaient revenus à Samos en quittant Tissapherne, ils s’étaient assurés davantage de l’armée. Les Samiens eux-mêmes, qui s’étaient soulevés entre eux pour s’opposer à l’oligarchie, engagèrent alors les riches à essayer d’établir chez eux cette forme de gouvernement. En même temps, les Athéniens qui étaient dans cette ville se concertèrent ensemble, et décidèrent qu’il ne fallait plus songer à Alcibiade, puisqu’il ne voulait pas les seconder (car il ne leur semblait pas propre à passer à l’oligarchie) ; mais que c’était à eux qui se trouvaient au milieu du danger, à voir les moyens de ne pas négliger l’affaire qui les occupait, à soutenir en même temps la guerre, et à prendre gaîment, sur leurs fortunes, de l’argent et tout ce dont on pouvait avoir besoin, puisque ce n’était pas pour d’autres, mais pour eux-mêmes qu’ils travaillaient.

  1. Au commencement d’avril.
  2. Vingt-unième année de la guerre de Péloponnèse, première année de la quatre-vingt-douzième Olympiade, quatre cent douze ans avant l’ère vulgaire. Avant le 27 mars.
  3. En avril déjà avancé.
  4. Après le 28 février.