Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/302

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grande partie de la nuit, et ayant gagné la terre ferme à Armatonte, vis-à-vis de Méthymne, ils côtoyèrent rapidement, après le dîner, Lectum, Larisse, Amaxite et les places voisines, et arrivèrent, avant le milieu de la nuit, à Rhœtium qui fait déjà partie de l’Hellespont. Quelques vaisseaux prirent terre à Sigée et dans d’autres endroits de cette plage.

CII. Les Athéniens, qui étaient à Sestos avec dix-huit vaisseaux, apprirent par les torches des signaux, et reconnurent par les feux allumés tout à coup dans les campagnes qu’occupait l’ennemi que les Péloponnésiens arrivaient. Ils se retirèrent cette nuit même, avec toute la célérité dont ils étaient capables, dans la Chersonèse, et passèrent à Élæonte, voulant éviter dans une mer ouverte la flotte ennemie. Ils ne furent pas aperçus des seize vaisseaux qui étaient à Abydos, quoique la flotte de Lacédémone leur eût recommandé d’observer avec une grande vigilance s’ils ne passeraient pas. Mais ils reconnurent avec l’aurore les vaisseaux de Mindare et prirent la fuite ; tous ne purent échapper. La plupart se sauvèrent sur le continent et à Lemnos ; mais quatre navires, qui marchaient après les autres, furent atteints vers la cote d’Élæonte. Les ennemis en firent échouer un près de la chapelle de Protésilas et le prirent avec les hommes qui le montaient ; ils en prirent deux autres sans les équipages, et en brûlerent un près d’Imbros, mais qui était vide.

CIII. Ayant joint ensuite aux autres vaisseaux ceux d’Abydos, ce qui en faisait en tout quatre-vingt-six, ils firent, dès le jour même[1], le siège d’Elæonte ; et comme la place ne se rendit pas, ils se retirèrent à Abydos. Les Athéniens, trompés par les gens qu’ils avaient mis en observation, et croyant que la flotte ennemie ne pouvait passer à leur insu, battaient à loisir les murailles d’Érèse ; mais instruits de la vérité, ils abandonnèrent aussitôt le siège, et se hâtèrent d’aller au secours de l’Hellespont. Ils prirent deux vaisseaux du Péloponnèse qui, s’étant avancés en mer à la poursuite avec trop de témérité, vinrent se jeter au milieu d’eux. Ils arrivèrent le lendemain à Elæonte[2], s’y arréterent, reçurent d’Imbros tous les habitans qui s’y étaient réfugiés, et mirent cinq jours à se préparer au combat.

CIV. Voici comment ensuite se livra l’action[3]. Les Athéniens partirent à la file, côtoyant le rivage, et s’avancèrent vers Sestos. Les Péloponnésiens apprirent d’Abydos qu’ils approchaient et mirent eux-mêmes en mer à leur rencontre. Quand les deux flottes reconnurent que le combat était inévitable, elles s’étendirent, celle d’Athènes, du côté de la Chersonèse, en sorte que ses quatre-vingts vaisseaux occupaient depuis Idacus jusqu’à Arrhianes ; et celle du Péloponnèse, forte de quatre-vingt-huit bâtimens, depuis Abydos jusqu’à Dardanus. La droite des Péloponnésiens était formée par les Syracusains ; Mindare lui-même occupait la gauche avec les vaisseaux qui manœuvraient le mieux. Thrasyle commandait la gauche des Athéniens, et Thrasybule, la droite : les autres généraux conservaient les rangs qui leur avaient été marqués. Ce furent les Péloponnésiens qui les premiers s’empresserent de donner. Ils tâchèrent de dépasser avec leur gauche, la droite des Athéniens, de leur ôter, s’il était possible, le moyen de franchir la barrière qu’ils leur opposeraient, de les charger au centre et de les pousser à la côte qui n’était pas éloignée. Les Athéniens pénétrèrent leur intention ; ils gagnèrent l’endroit par où l’ennemi voulait les renfermer et le devancérent. Leur gauche avait déjà doublé le promontoire qu’on appelle Cynossème[4] : mais, par cette manœuvre, leur centre n’était plus composé que de vaisseaux faibles, épars, d’ailleurs moins fournis d’équipage ; et comme l’endroit qui environné Cynossème forme un circuit anguleux, ils ne pouvaient apercevoir de là ce qui se passait plus loin.

CV. Les Péloponnésiens ne manquèrent pas d’attaquer ce centre. Ils poussèrent à sec les vaisseaux des Athéniens, et bien supérieurs à leurs ennemis, ils descendirent à terre. Ni Thrasybule, occupé à combattre le grand nombre de vaisseaux qui l’attaquaient, ne pouvait, de la droite, porter du secours au centre, ni Thrasyle de la gauche. La pointe de Cynossème ne lui permettait pas de voir ce qui se passait

  1. Peut-être le 8 juillet.
  2. Peut-être le 9 juillet.
  3. Au milieu de juillet.
  4. Cynossème, le monument ou sépulcre du chien.