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Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/88

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qui les montent, et naviguent vers Molycrium. Ils élevèrent un trophée sur le promontoire de Rhium, consacrèrent une de leurs prises à Neptune, et retournèrent à Naupacte. Les Péloponnésiens, avec ce qui leur restait de batimens, se hâtèrent de passer de Dymé et de Patrès à Cyllène, qui est l’arsenal maritime des Éléens. Ce fut la que se rendirent aussi de Leucade, après la bataille de Stratos, Cnémus et les vaisseaux du pays qui devaient se joindre à la flotte du Péloponnèse.

LXXXV. Les Lacédémoniens envoyèrent Timocrate, Brasidas et Lycophron pour servir de conseil à Cnémus dans ses opérations navales. Ils lui firent donner ordre de mieux se préparer à un nouveau combat, et de ne pas souffrir que la mer lui fût interdite par un petit nombre de vaisseaux. Comme c’était la première fois qu’ils s’étaient essayés dans un combat naval, l’événement leur en semblait fort étrange. Ils croyaient moins devoir l’attribuer à leur infériorité dans la marine qu’à la mollesse de leurs combattans ; incapables qu’ils étaient de comparer la longue pratique des Athéniens à leur inexpérience novice. Ce fut avec des sentimens d’indignation qu’ils envoyèrent des commissaires à Cnémus : ceux-ci, à leur arrivée, ordonnèrent conjointement avec lui aux différentes villes de fournir des vaisseaux, et firent mettre en état de combat ceux dont il disposait.

De son côté, Phormion fait porter à Athènes la nouvelle de l’action dans laquelle il a remporté la victoire, et celle des nouveaux préparatifs de l’ennemi. Il demande qu’on lui envoie, saus délai, le plus grand nombre de batimens qu’il sera possible, parce qu’on devait chaque jour s’attendre à une affaire. On lui expédia vingt vaisseaux, avec ordre à celui qui les conduisait de passer d’abord en Crète. Un Crétois de Gortyna, nommé Nicias, était lié d’hospitalité avec les Athéniens : c’était lui qui les engageait à passer à Cydonie, ville ennemie d’Athènes, et il les flattait de la leur soumettre. Son objet était de complaire aux habitans de Polychna, voisins de Cydonie. Il passa en Crète avec les vaisseaux qu’on lui prêtait, et secondé par les Polychnites, il ravagea le pays des Cydoniates. Les tempêtes et les vents contraires lui firent perdre beaucoup de temps.

LXXXVI La flotte du Péloponnèse, qui était à Cyllène pendant que les Athéniens étaient retenus autour de la Crète, fit voile pour Panorme en Achaïe, disposée à combattre. Là se trouvait rassemblée l’armée de terre, prête à la favoriser. En même temps Phormion passa à Rhium de Molycrie, et se tint à l’ancre en dehors du promontoire, avec les vingt vaisseaux qui avaient déjà combattu ; les gens du pays étaient amis des Athéniens. En face de ce promontoire, en est un autre appelé de même, qui fait partie du Péloponnèse ; un trajet de sept stades au plus[1] les sépare l’un de l’autre ; c’est l’embouchure du golfe de Crisa. Les Péloponnésiens, après avoir aperçu l’ennemi, abordèrent à ce Rhium de l’Achaïe qui n’est pas loin de Panorme : leur armée de terre y était ; ils mirent aussi à l’ancre avec soixante-dix-sept vaisseaux. On resta de part et d’autre à s’observer pendant six à sept jours, faisant les préparatifs du combat qu’on était résolu de livrer. Les Péloponnésiens ne voulaient pas sortir de l’espace contenu entre les deux promontoires, et s’exposer au large, dans la crainte d’un malheur semblable à celui qu’ils avaient éprouvé ; ni les Athéniens s’engager dans une mer resserrée, ce qu’ils regardaient comme un avantage pour leurs ennemis. Enfin, Cnémus, Brasidas et les autres généraux Péloponnésiens voulurent presser le combat naval avant qu’il pût venir d’Athènes quelque renfort ; ils convoquèrent d’abord les soldats, et les voyant presque tous effrayés de leur première défaite, ils tâchèrent de les rassurer et leur parlèrent ainsi :

LXXXVII. « Ceux de vous, ô Péloponnésiens, à qui le mauvais succès de la dernière affaire inspire des craintes pour celle qui se prépare, ont tort de se livrer à la terreur. Nos dispositions, vous le savez, étaient défectueuses, et notre objet était d’aller combattre sur terre, et non de soutenir un combat naval. La fortune d’ailleurs rassembla contre nous bien des circonstances. On peut ajouter que l’inexpérience nous fit commettre des fautes, parce que nous combattions sur mer pour la première fois. Non, ce n’est point par lâcheté que nous avons été vaincus. Quand l’esprit n’est pas entièrement tombé dans l’abattement, quand on trouve en soi-même des raisons de se justifier, il ne faut

  1. Un quart de lieue.