mens de vos ennemis, et ce que votre conduite a d’étrange leur cause plus d’effroi que si vos préparatifs s’accordaient avec les règles communes.
« On a vu bien des armées succomber sous des ennemis moins respectables qu’elles, tantôt par impéritie, et tantôt aussi par lâcheté : ce sont deux vices qu’on ne nous reprochera pas. Autant qu’il dépendra de moi, je n’engagerai pas l’action dans le golfe. Je n’y entrerai même pas. Je sais trop que, contre de nombreux vaisseaux malhabiles à la manœuvre, une mer resserrée ne convient pas à une petite flotte, qui a, dans ses mouvemens, plus d’art et de légèreté. Comme on ne verrait pas d’assez loin les ennemis, on ne pourrait s’avancer, comme il le faut, à l’attaque ; trop pressé, on ne pourrait se retirer à propos : on ne saurait ni se faire jour à travers la flotte ennemie, ni retourner librement en arrière ; manœuvre convenable aux vaisseaux les plus légers. Il faudrait changer le combat naval en un combat de terre, et c’est alors que les flottes les plus nombreuses ont l’avantage. C’est à quoi j’aurai soin de pourvoir autant qu’il me sera possible. Et vous, gardant votre poste sur les vaisseaux, exécutez les ordres avec célérité ; ce qui sera facile, puisque c’est d’une faible distance que vous vous élancerez sur l’ennemi. Dans l’action, regardez comme bien importent le bon ordre et le silence : rien de plus utile à la guerre, et surtout dans les actions navales. Défendez-vous de manière à ne pas flétrir vos premiers exploits. Cette journée doit avoir une grande issue : elle va ravir aux Péloponnésiens toute espérance d’une marine, ou faire craindre aux Athéniens de perdre bientôt l’empire de la mer. Je dois vous rappeler encore une fois que vous venez de vaincre la plupart de ceux que vous allez combattre : l’âme des vaincus n’est plus la même pour se présenter aux mêmes dangers. »
XC. Ce fut à peu près en ces termes que Phormion encouragea ses soldats. Comme il n’entrait pas dans le golfe, et qu’il évitait une mer étroite, les Péloponnésiens voulurent l’y engager malgré lui. Ils prirent le large au lever de l’aurore, et, rangés sur quatre vaisseaux de front, ils voguèrent dans l’intérieur du golfe comme s’ils eussent voulu gagner leur pays. Ils défilaient par leur aile droite, dans le même ordre qu’ils s’étaient tenus à l’ancre ; et ils ajoutèrent seulement à cette aile vingt vaisseaux des plus légers. C’était pour empêcher les Athéniens d’éviter leur attaque en se tenant à quelque distance, et pour envelopper leur flotte, si Phormion, dans l’idée qu’on allait attaquer Naupacte, s’avançait au secours de cette place. Ce qu’ils attendaient arriva. Dès que ce général vit les ennemis appareiller, il craignit pour Naupacte qui était sans défense, et se hâta, malgré lui, d’embarquer ses soldats. Il rasait la côte, et l’infanterie des Messéniens défilait en même temps pour le soutenir. Les Péloponnésiens ne virent pas plus tôt la flotte athénienne arriver sur une seule ligne, et déjà engagée dans le golfe et près de terre, comme ils l’avaient tant souhaité, qu’ils donnèrent le signal, virèrent de bord et vinrent à sa rencontre avec toute la vitesse dont ils étaient capables. Ils espéraient s’emparer de la flotte entière ; mais onze vaisseaux, qui devançaient le reste, évitèrent la ligne des Péloponnésiens et regagnèrent la haute mer. Les ennemis atteignirent les autres, les poussèrent à la côte dans leur fuite, et les firent échouer. Ils tuèrent tous les Athéniens qui ne purent se sauver à la nage, se mirent à remorquer une partie des vaisseaux abandonnés, et déjà ils en avaient pris un avec tous ceux qui le montaient ; mais les Messéniens vinrent au secours, entrèrent tout armés dans la mer, montèrent sur quelques-uns des bâtimens qu’entraînaient déjà les ennemis, combattirent du haut des ponts et les sauvèrent.
XCI. De ce côté les Péloponnésiens étaient victorieux, puisqu’ils avaient fait échouer des vaisseaux ennemis. Mais leurs vingt bâtimens de l’aile droite se mirent à la poursuite des onze vaisseaux athéniens qui avaient évité l’attaque et gagné la haute mer. Ceux-ci, à l’exception d’un seul, les devancèrent, et se réfugièrent dans la rade de Naupacte. Là, ils se mirent en bataille, la proue en dehors, à la vue du temple d’Apollon, disposés à se défendre si l’on approchait de terre pour les attaquer. Les Péloponnésiens les suivirent de près. Ils naviguaient en chantant le pæan, comme des gens qui avaient remporté la victoire. Un vaisseau de Leucade, qui seul voguait bien en avant des autres, joignit celui d’Athènes qui était resté seul en arrière. Il se trouva que, par hasard, un vaisseau marchand était à l’ancre hors de la