Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/91

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rade. Le navire athénien est le premier à l’atteindre, en fait le tour, va donner au milieu du vaisseau qui le poursuit et le submerge. Les Péloponnésiens ne s’attendaient pas à cet événement ; il les étonne et les effraie. Comme ils étaient victorieux, ils s’étaient mis sans ordre à la poursuite : les équipages de quelques vaisseaux tinrent les rames basses et s’arrêtèrent pour attendre les autres : manœuvre inutile, parce que l’ennemi n’avait que peu d’espace à franchir pour venir les attaquer : d’autres, pour ne pas connaître cette plage, échouèrent contre des écueils.

XCII. Ce spectacle anime les Athéniens : l’ordre leur est donné, ils poussent un grand cri et s’avancent contre eux. Ceux-ci, troublés, de leurs fautes et du désordre où ils se trouvent, résistent peu de temps, et tournent vers Panorme d’où ils sont partis. Les Athéniens les poursuivent ; ils leur enlèvent les vaisseaux les moins éloignés, au nombre de six, et reprennent ceux des leurs que les Péloponnésiens avaient mis hors de combat, et amarrés au rivage. Ils tuèrent une partie des hommes et en firent quelques-uns prisonniers. Le Lacédémonien Timocrate était sur le vaisseau de Leucade qui fut submergé près du bâtiment de charge. Pendant que le navire coulait bas, il se tua lui-même, et son çorps fut porté dans le port de Naupacte.

Les Athéniens, au retour de la poursuite, élevèrent un trophée au lieu d’où ils étaient partis pour la victoire ; ils recueillirent les morts et les débris des vaisseaux qui furent apportés sur la côte, et rendirent, par un traité, ceux des ennemis. Les Péloponnésiens élevèrent aussi un trophée pour avoir été victorieux quand ils avaient obligé les ennemis à fuir, et avoir fait échouer quelques-uns de leurs vaisseaux. Ils consacrèrent sur le Rhium d’Achaïe, près de leur trophée, le vaisseau qu’ils avaient pris ; mais à l’arrivée de la nuit, craignant qu’il ne tint contre eux quelques secours de la part des Alhéniens, ils rentrèrent tous, excepté ceux de Leucade, dans le golphe de Crisa et dans celui de Corinthe — Les Athéniens qui venaient de Crète avec vingt vaisseaux, et qui auraient dû se joindre à Phormion avant le combat, abordèrent à Naupacte peu après la retraite des ennemis : et l’été finit.

XCIII. Avant que la flotte du Péloponnèse se séparât[1], Cnémus, Brasidas et les autres commandans, voulurent, au commencement de l’hiver, et sur les renseignemens des Mégariens, faire une tentative sur le Pirée, port d’Athènes. Ce port n’était ni gardé ni fermé ; ce qui ne doit pas étonner, par la grande supériorité que les Athéniens avaient dans la marine. Il fut résolu que chaque matelot se chargerait de sa rame, de la courroie qui sert à l’attacher, et de son coussin, et qu’ils passeraient par terre de Corinthe à la mer qui regarde Athènes ; qu’ils se hâteraient d’arriver à Mégare, qu’ils tireraient de leur chantier de Nisée quarante vaisseaux qui s’y trouvaient, et vogueraient droit au Pirée. Il n’y avait aucune flotte qui en fît la garde, et l’on était loin de s’attendre à voir jamais les ennemis aborder à l’improviste. Les Athéniens croyaient que c’était une entreprise que jamais on n’oserait faire ouvertement, même en se donnant tout le loisir de s’y préparer ; et que, si l’on osait la former, ils ne pourraient manquer de la prévoir.

Aussitôt qu’il fut conçu, le projet fut mis à exécution. Les matelots, arrivés de nuit, mirent à flot les vaisseaux de Nisée, et voguèrent, non vers le Pirée, comme il avait été résolu : le danger les effraya ; on prétend aussi qu’ils furent contrariés par le vent : mais ils allèrent à Salamine, promontoire qui regarde Mégare. Là était une garnison et une garde de trois vaisseaux, pour empêcher que rien ne pût entrer à Mégare, ni en sortir. Ils attaquèrent la garnison, amenèrent les trois vaisseaux qui étaient vides, surprirent Salamine et la pillèrent.

XCIV. Des feux furent allumés pour faire connaître à Athènes l’arrivée des ennemis[2]. Jamais on n’avait éprouvé, dans cette guerre, une plus grande consternation. On croyait dans la ville que les ennemis étaient déjà dans le Pirée, que déjà maîtres de Salamine, ils étaient sur le point d’arriver, C’est ce qu’ils auraient fait sans peine, s’ils avaient voulu ne pas per-

  1. Après le 8 octobre.
  2. Les Grecs se servaient pour signaux de torches que des hommes tenaient allumées sur les remparts. Si l’on voulait signifier l’arrivée d’un ennemi, on agitait les torches ; mais, pour marquer l’arrivée d’un secours, on les tenait tranquilles.