Page:Tinayre - L Ombre de l amour.djvu/20

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verdâtres et ternis. Les bruits du village ne parvenaient pas jusqu’à elle, mais elle s’éveillait aux appels des cloches, et, sans cesse, la rumeur des chutes l’enveloppait…

Denise aimait cette plainte des eaux brisées qui change selon les jours et les saisons, enflée après l’orage, amortie sous la sèche canicule, grossie et menaçante quand fondent les hautes neiges, en avril. Depuis que les Cayrol habitaient Monadouze, cette plainte se mêlait aux petits chagrins, aux joies modestes, à toute la vie laborieuse, chaste et quasi conventuelle de la jeune fille.

Comme elle était triste, cette voix, dans le crépuscule de décembre ! Elle semblait un grand appel haletant et sanglotant, sorti des profondeurs déchirées de la terre. Et cet appel ébranlait les assises rocheuses qui portaient la maison, et les murs vieux de trois siècles, et le cœur de Denise dans son jeune sein.

Elle appuya son front contre la vitre, dont la fraîcheur mouillée la saisit… Et elle s’étonna d’être émue, sans cause, et trop sensible à la mélancolie de l’heure et du lieu… Pourquoi ?… Elle n’était pas nerveuse, mais robuste et bien équilibrée, satisfaite de sa vie qu’elle n’imaginait pas différente, bien qu’elle eût déjà vingt-sept ans.

Elle pensa :

« Je suis inquiète : mon père ne revient pas ! »

Elle chérissait son père par-dessus toutes choses.

Après la mort de sa mère, quand le docteur