Page:Tinayre - La Douceur de vivre.djvu/126

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roses, froissées à son corsage, s’effeuillèrent sur ses genoux. Angelo recueillit les pétales, un par un. Il les respirait, les roulait dans ses paumes, les mordillait…

— Santaspina va jouer… C’est un grand musicien… un virtuose !… Mais il ne peut se produire, pauvre homme, parce qu’il doit faire le professeur pour gagner l’argent…

Mais Santaspina était modeste. Il se débattait, entre Salvatore et Gramegna, avec des mines de vierge violée… Et il fallut le pousser, le traîner, le maintenir sur la chaise, devant le vieux piano aux dents jaunes…

Dompté, il se résigna. Enfonçant dans son faux col sa nuque noire, il étendit ses bras, et…

Trémolos, arpèges, fioritures, trilles de la main gauche, trilles de la main droite ! Le maestro s’est emparé de Donizetti, de Bellini et de Rossini, ancêtres vénérables et démodés. Il les saisit par leur perruque romantique, les enjolive, les enguirlande, les frise au petit fer, et les fait sauter dans les cerceaux bleus et roses, pour amuser les demoiselles !… Fantaisie sur le Trouvère ! Grand « Caprice » sur Norma ! Pot-pourri de la Favorite !

Le maestro joue avec ses doigts, avec ses épaules, avec sa tête, avec tout son petit corps frénétique. C’est un acrobate qui bondit sur le