Page:Tinayre - La Douceur de vivre.djvu/127

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tremplin des octaves, d’un bout à l’autre du clavier ; c’est un escamoteur qui jongle ; c’est un artificier qui fait éclater des fusées en majeur, des bombes en mineur, et dont les mille mains aux mille doigts secouent des millions d’étoiles sonores ; c’est un gondolier qui rame, en longs arpèges égaux ; c’est un amant qui se pâme dans les points d’orgue, soupire, chavire, expire…

Marie, consternée, l’écoute… Il ne s’arrête que pour recommencer. Collé à sa chaise, implacable, il fonctionne… Maintenant l’heure est venue des grandes difficultés, des grands triomphes… Santaspina tourne à demi la tête. Il annonce :

— Le morceau de musique contre la jettature.

Des quartes ! rien que des accords de quartes frappés avec l’index et le petit doigt en imitant le geste conjurateur… Et pour finir : le Deuil de l’amour, nocturne exécuté sur les touches noires, rien que sur les touches noires !…

« Che spressione !… » soupire Gramegna, hypnotisé… « Che sentimento !… » Le bon Salvatore loue la vélocité, la souplesse, la résistance du pianiste… Et tous deux hochent la tête, avec une componction dévote derrière le dos du musicien… Quand l’accord suprême écrase le vieux piano et fait branler toutes ces statuettes sur les tables — pan ! pan ! pan ! pan !… — le sculp-