Page:Tinayre - La Douceur de vivre.djvu/128

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teur et Gramegna s’élancent vers leur ami, le félicitent, l’embrassent !… On entend, dans un flux de paroles, déguisés par la prononciation dialectale, les noms des pianistes célèbres, Risler, Diémer, Paderewski, que Santaspina égalerait, qu’il dépasserait, qu’il anéantirait, s’il ne devait — pauvre homme ! — faire le petit professeur, au cachet, pour gagner sa vie.

Marie est gênée par ce dithyrambe… Jamais elle n’osera dire à Santaspina : « Monsieur, je vous remercie. Vous jouez fort bien du piano… » Et même, elle en veut à Salvatore, à Gramegna, de cette ridicule outrance… « Ils manquent de sincérité !… » pense-t-elle. Mais elle commence à mieux observer, à mieux comprendre, et à se défier des impressions hâtives… Non, Salvatore n’est pas un menteur !… Il exprime honnêtement sa pensée… Seulement, il l’exprime en italien ou en napolitain. Et sa pensée est exactement celle d’un Français, mais transposée, haussée d’un ton par la langue… Ce n’est pas sa faute s’il met un dièze à chaque adjectif… — les touches noires, rien que les touches noires ! — L’air est le même. Santaspina ne s’y trompe point.

Le prudent Angelo a voyagé chez les gens du Nord dont la langue discrète et nuancée met des bémols aux adjectifs. Il ne veut pas choquer