Page:Tinayre - La Douceur de vivre.djvu/24

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même croyait l’être, engourdie dans cette existence de chrysalide. N’ayant pas commencé de vivre, elle ressentait l’espèce de résignation fatiguée des gens qui ont beaucoup vécu.

Trois ans, quatre ans, passèrent, et l’inévitable petit hasard qui produit les catastrophes apprit brusquement à Marie le secret d’André Laubespin. Il avait — depuis combien de temps ? — une maîtresse et cette maîtresse était devenue mère. Marie éprouva une douleur atroce, faite de surprise, de dégoût et d’humiliation. L’idée de la paternité d’André lui fut plus cruelle que l’idée de la trahison. Elle se sentit blessée dans sa fierté intime, diminuée dans sa chair, elle qui n’avait pu donner la vie !… Et le mari adultère lui apparut comme un être bas, souillé de mensonges, vautré dans l’ordure… Le dégoût submergea l’amour et même la jalousie… Il y eut une explication. André s’emporta. Il osa dire — ce que tout homme eût compris et même certaines femmes, mais non pas Marie Laubespin ! — il osa dire que Marie l’avait déçu, qu’elle était un cerveau, un cœur, une âme, non pas une amante de chair…

Le lendemain, Marie quitta sa maison. Elle se réfugia dans sa famille où André, tout confus, la rejoignit. Elle pardonna, par devoir d’épouse chrétienne, mais son naïf amour était mort. Elle