Page:Tinayre - La Douceur de vivre.djvu/25

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n’estimait plus André et ne l’approchait qu’avec répugnance. Bientôt, elle eut la certitude qu’il retournait chez sa maîtresse… Et ce fut la définitive séparation.


Tel est le petit drame de famille qui émut naguère Pont-sur-Deule et qui n’a pas eu son dénouement logique par un bon divorce ou par une réconciliation. Quelques amis des Wallers conservent l’espérance de manger le veau gras avec le mari prodigue, repentant et pardonné. On pense qu’une femme de vingt-sept ans ne peut s’accommoder toujours d’une situation fausse, qui, selon les idées de la petite province, la déprécie et l’oblige à une demi-dépendance.


Cependant, insoucieux des commérages, sous son parapluie déployé, Guillaume Wallers suit le quai du canal. Le vent fouette les ormes malingres, et la pluie redouble, criblant l’eau verte, l’eau si lente qu’on reconnaît à peine le sens de son courant. Déjà, sur la rive opposée, le vitrage d’une fabrique s’éclaire, bleu d’électricité, envoyant un reflet métallique au ciel bas. Les panaches noirs des hautes cheminées se teintent d’une rougeur sanglante. Une cloche d’atelier sonne, répondant à une cloche de couvent. Les premières lampes jaunissent les fenêtres des