Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/176

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elle a déclaré qu’elle n’habiterait pas le Chêne-Pourpre, cet été, et qu’elle enverrait des locataires.

— Tu as raison, ma sœur. Ils doivent comploter quelque chose… Malheureux enfant !… »

M. Courdimanche dut s’asseoir.

« Cette nouvelle est très douloureuse pour moi… Non, jamais je n’aurais cru… Si tu savais comment Augustin a soigné Faron, quelle charité généreuse ?…

— Hypocrisie !… Il vous bernait… Sa gueuse l’a perverti, démoralisé… M. le Curé dit qu’elle est la Bête de l’Écriture, cette femme-là. »

Mlle Cariste prononça ces mots à demi-voix. Son âme puérile était incapable de haine, mais on sentait, dans son accent, l’effarement vertueux des vierges vieillies, devant la femme d’amour. Elle se reprochait d’avoir reçu Fanny, une fois, chez elle : et il semblait que l’honnête salon, au meuble vert, aux mousselines immaculées, en gardât une souillure. Une femme de mauvaise vie s’était assise sur le canapé de velours, en face du Sacré-Cœur et de Saint-Joseph, et Mlle Courdimanche lui avait offert la liqueur de prunelle réservée aux ecclésiastiques… Quel souvenir !

« Je plains M. de Chanteprie, mais je ne puis lui pardonner d’avoir introduit chez nous sa… maîtresse ! »

Et Mlle Cariste rougit encore, en prononçant ce mot de maîtresse…

« Je ne peux pas lui en vouloir, ma sœur. Il était de bonne foi, le cher enfant… Ah ! mon Dieu, quelle épreuve !… Que faire ?… Nous ne pouvons que prier pour lui… pour eux…

— J’aimerais mieux me couper la langue que de dire un Ave pour la créature…

— Ce n’est pas un sentiment chrétien, ma sœur.

— Notre Seigneur a maudit celui ou celle par qui les innocents sont scandalisés… »

Midi sonna. Mlle Cariste fit le signe de la croix, et lança dans un soupir : « Cœur de Jésus, sauvez-nous ! » – l’oraison jaculatoire qui lui valait cinquante jours d’indulgence. – Puis elle posa sur la cheminée son paroissien de maroquin noir, gonflé d’images pieuses, dénoua les brides de son chapeau et tira ses mitaines de fil perse, toutes reprisées.

« Et s’il l’épouse !… dit-elle en se tournant vers le capitaine. Elle veut le mariage, c’est sûr !