Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/177

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— Mme de Chanteprie dira toujours non… Et puis, Augustin n’a pas vingt-cinq ans.

— Il a vingt-quatre ans et demi, mon frère… Et la loi permet les actes respectueux.

— Si j’allais voir Mme Manolé ?… Si je lui exposais la situation, en faisant appel à sa délicatesse ?…

— La délicatesse de ?… Mon frère, oserais-tu aller chez cette personne qui vit publiquement avec M. de Chanteprie sans être mariée !… Que dirait notre ange, qui te regarde du haut du ciel !…

— Soit !… Je verrai Augustin.

— Et moi, je verrai Mme de Chanteprie.

— Elle sait peut-être, par Jacquine…

— Allons donc !… Jacquine est aux gages de la créature… Mais, tôt ou tard, je te l’affirme, elle déguerpira de la maison. »

Dans l’après-midi, le capitaine, digne et boutonné jusqu’au cou, le ruban rouge à la boutonnière, un chapeau presque neuf sur la tête, se présenta chez Augustin. Il s’était mis en tenue de cérémonie sans savoir pourquoi, craignant peut-être que son vieux veston et son feutre râpé ne fissent tort à la gravité de sa mission.

Mais, dès les premières paroles d’Augustin, il fut déconcerté ; il oublia le discours préparé chemin faisant… M. de Chanteprie avouait ! Tristement, résolument, il annonçait son voyage en Hollande…

« Alors, c’est vrai, tu pars ?

— Je reviendrai.

— La rumeur publique dit que tu t’en vas… avec une femme…

— Je ne savais pas être espionné !… mais cela m’est indifférent. La rumeur publique ne vous trompe pas : je pars avec une femme.

— Mon Dieu ! » gémit le vieillard.

Il n’entassa pas les malédictions sur les anathèmes. Son cœur simple était déchiré par le malheur d’Augustin.

« Mon enfant, tu réfléchiras… Mais avant de prendre une résolution désespérée, tu penseras à tes devoirs, à ta mère, au bon Dieu… Je ne suis pas venu pour te faire de la peine. Je t’ai toujours bien aimé, mon cher enfant… Nous devons être indulgents les uns pour les autres, afin que le bon Dieu soit indulgent pour nous. Moi, pécheur, je ne voudrais pas condamner mon frère qui vaut peut-être mieux que moi : condamnerai-je mon fils ?