Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/178

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— Vous êtes le meilleur des hommes et je suis indigne de votre affection… Mais je ne peux pas tout vous dire. Pardonnez-moi… J’ai engagé ma parole… D’ailleurs, je vous le répète, je reviendrai.

— Non, tu ne reviendras pas. Sans doute, en partant, tu nous diras « au revoir », de bonne foi, mais quand tu auras vu le monde, changé de pays, amusé ton remords, tu ne voudras plus revoir Hautfort-le-Vieux… C’est tout un passé que tu dépouilles. Ici, tu ne reconnaîtrais plus rien, ni le visage des gens, ni le visage des choses. Et puis, elle, crois-tu qu’elle te laisserait revenir ?

— Ne me parlez pas d’elle, en ce moment.

— Je ne prétends pas l’accabler, elle non plus, répondit M. Courdimanche. C’est une malheureuse à qui manque la foi comme la grâce t’a manqué… Je la plains… Je vous plains… Mais si je pouvais la voir, je lui représenterais le mal qu’elle t’a fait, déjà, et le mal qu’elle va te faire. Je la déciderais…

— Elle ne vous écouterait même pas… Elle et moi, nous n’avons plus notre liberté, monsieur Courdimanche… Nous sommes des possédés d’amour, des maudits…

— Tu en es là ! toi, notre petit Augustin, l’enfant si pieux et si pur, qui rêvait l’apostolat et le martyre !… Esclave honteux d’une femme, à présent !… Que dirait M. Forgerus ?… Quelle douleur pour ce saint homme, s’il te voyait déchu !…

— M. Forgerus lui-même ne pourrait rien pour moi. Il doit déplorer mon ingratitude, car depuis l’automne j’ai cessé de lui écrire et n’ai plus reçu de lettres de lui… Mon pauvre vieil ami, épargnez-vous l’émotion d’un débat cruel pour nous deux, et bien inutile. J’ai lutté contre ma passion. La femme que je chérissais, je l’ai traitée en ennemie… Mais je suis vaincu : je suis à terre. Abandonnez-moi !

— Ah ! cette femme nous l’a tué ! » s’écria M. Courdimanche, pénétré de douleur.

Augustin dit, avec un sourire qui effraya le vieillard :

« Vous voyez en moi un amant heureux. Ma détresse, ma déchéance, c’est l’œuvre de l’amour. »

Le capitaine, indigné, se leva :

« L’amour ?… mais tu n’es pas digne de prononcer ce mot, malheureux !… L’amour est un reflet de la charité divine… J’ai aimé… On t’a conté mon histoire : je n’étais plus jeune ; je vivais en égoïste, presque en païen, quand j’ai rencontré une jeune fille, si simple, si pieuse, un ange !… Je l’ai épousée. Dieu me l’a