Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/237

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une vue plaisante, et si j’étais que de vous, je reprendrais l’ancienne chambre, la chambre du Pavot, si jolie !… »

Il sourit tristement. Agenouillée près de lui, elle supplia :

« Mon fieu, mon cher fieu, aidez-nous ! Que peuvent les remèdes, et les médecins, et les soins de votre Jacquine, si vous avez perdu le goût de vivre ?… Vous guéririez, si vous vouliez guérir !… Mon fieu, n’est-il plus rien dans le monde qui vous donne du désir ou du regret ? N’est-il plus rien que vous aimiez, ni personne que vous ayez envie de revoir ?…

— Rien, ni personne, Jacquine. Cesse de me tourmenter, ma pauvre bonne. J’ai enfin gagné mon repos. »

Elle dit, très bas, contre l’oreille du jeune homme :

« Vous ne me trompez point ?… Voulez-vous que j’aille là-bas… à Paris… pour savoir ?… »

Il lui mit la main sur la bouche… Docile, elle se tut, et pourtant cette indifférence l’épouvanta comme un mauvais présage. Non, Augustin n’était pas consolé. Il était épuisé de corps et d’esprit, et le peu de force que la maladie lui avait laissé, il l’usait, non plus à souffrir, non plus à expier, mais à vivre quelques jours encore ou plutôt à se survivre. Ce qu’on appelait une chrétienne résignation, c’était le premier froid de la mort engourdissant les sens qui échappait à la mère d’Augustin, à ses amis : M. de Chanteprie ne guérissait point parce qu’il ne voulait point guérir ; il mourait parce qu’il avait perdu le goût de vivre.

Et Jacquine désespéra… Elle, la thaumaturge rustique, à qui les « plantes du poison » et les « bonnes herbes » avaient livré tous leurs secrets, elle qui, par des philtres et des formules, avait soulagé des incurables et ranimé des agonisants, elle se sentit vaincue. M. Courdimanche reçut la confidence de son trouble et de ses erreurs. Le capitaine fit venir le médecin, l’interrogea, et le docteur répondit par un geste d’impuissance… Fils d’un tuberculeux et d’une névropathe, rejeton d’une race épuisée par des mariages consanguins, M. de Chanteprie aurait pu vivre, s’il avait consenti à vivre comme tout le monde. Mais il avait sacrifié tout, et lui-même, à la passion religieuse : il s’était assassiné, lentement…

« Alors… il n’y a rien à faire ?

— Rien… qu’à laisser mourir tranquille ce malheureux… J’ai averti Mme de Chanteprie. Je lui dis que si son fils n’avait pas eu la prétention d’être un saint – comme elle est une sainte – il ne