Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/245

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— Dieu ! s’écria Augustin, ô Dieu ! est-ce possible ?… Est-il vrai que pour avoir, un instant, traversé le monde, j’aie remporté du monde, à mon insu, la semence du doute qui germe à présent, qui croît d’heure en heure ?… Hélas ! je me réfugie aux pieds de Jésus crucifié ; je récite le symbole des Apôtres ; je rallume ma foi à la sainte lumière des Écritures… Hélas !… hélas !… Dans la nuit de la mort qui monte, le flambeau vacille… il tremble… il s’éteint…

— Ne vous arrêtez pas à ces pensées, mon enfant. Le démon vous sollicite. Laissez-le faire. Ne discutez pas avec lui, ne discutez pas avec vous-même. Vous prenez pour des réalités les vains mirages de la fièvre. Je vous en conjure, calmez-vous ; ayez confiance ; priez.

— N’est-ce pas, dit Augustin d’une voix suppliante, je ne peux pas perdre la foi, maintenant, la foi qui a réglé ma vie, à qui j’ai tout sacrifié ?… Ce serait une dérision effroyable… Dieu ne permettrait pas… Et cependant !… Là, tout au fond de moi, j’entends quelque chose… quelqu’un… qui proteste : « Si tu t’étais trompé ?… Des preuves, des certitudes… il n’y en a pas que la raison humaine puisse concevoir… Pour croire, il faut aimer. À l’heure de la mort, tu n’aimes plus ton Dieu assez pour y croire… » Ainsi parle la voix… Et, perdant pied, submergé de toutes parts, je me raccroche à la raison comme à une planche pourrie qui me soutiendra, – peut-être, – dans ce grand naufrage… Je refais le pari de Pascal : « Si je perds, je ne perds rien. Si je gagne, je gagne tout. » Mais la voix ironique, tout bas, ricane : « Si tu perds, n’as-tu rien perdu ? Ce rien, c’est ta jeunesse, ta force, ta santé, ton amour ! Ce rien, c’est toute ta vie qui pouvait être heureuse et belle, humainement !… Hypothèses, les sanctions d’outre-tombe, le jugement, les récompenses et les châtiments éternels !… Hors de ta vie, que tu as jetée comme un méprisable enjeu, il n’y a pour toi ni réalités, ni certitudes… » Ainsi me parle encore la voix… Et moi, misérable…

— Tentations ! cria M. Le Tourneur, étendant la main comme pour un exorcisme : tentations vaines et négligeables… Derniers assauts de l’esprit du mal !… »

Augustin se dressa sur sa couche. Ses mains décharnées saisirent le bras du prêtre, et son visage hagard devint effrayant.

« Aidez-moi ! cria-t-il. Aidez-moi ! Secourez-moi ! L’ennemi est là… Il me guette… Dans les yeux des femmes, dans les livres des savants, dans le sanctuaire secret de mon cœur… Là… là…