Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/246

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au chevet de mon lit… pendant les nuits douloureuses… avec le visage de Jacquine, avec le visage de Fanny… C’est lui, mon père, c’est lui qui me souffle ces regrets inavouables… ces doutes… cette peur sacrilège de la communion… Oh ! priez avec moi, pour qu’il s’en aille !… Priez, pour que je meure réconcilié… Mais je ne veux pas mourir encore !… Mon âme n’est pas prête… Je n’ai pas expié mes fautes… Je veux vivre et souffrir… Oh ! ne me quittez pas ! Défendez-moi !… Demandez à Dieu un délai !… quelques jours… Moi, moi, comparaître devant le juge irrité !… Moi, seul et nu en sa présence !… Que lui dirais-je ?… Dans quels abîmes ne me précipiterais-je pas, de moi-même, si lourd de crimes, et foudroyé par sa splendeur !… Ah ! la réprobation… la grâce qui m’abandonne !… l’épouvantable Éternité !…

Il eut un haut-le-corps éperdu, comme pour fuir une vision terrible, puis il retomba sur l’oreiller. Une houle de sanglots gonfla sa poitrine, et deux larmes, sans cesse reformées, coulèrent du coin de ses yeux au coin de sa bouche, dans cette ride profonde que creusent les longues douleurs.

L’abbé Le Tourneur oubliait les phrases préparées à l’avance… Il avait baptisé Augustin de Chanteprie ; il l’avait préparé à la première communion ; il lui avait administré le sacrement des malades, et demain, sans doute, il dirait sur sa fosse le dernier Requiem… Certes, il croyait bien connaître ce jeune homme qu’il avait aidé dans toutes les phases de la vie chrétienne, et toujours il avait compté qu’Augustin ferait une mort édifiante, une « belle mort », dont on parlait longtemps dans la paroisse… Cette explosion de doute et de désespoir affligeait M. Le Tourneur comme ami, et comme ecclésiastique. Il n’avait pas prévu cette scène… Il ne savait s’il devait chercher une inspiration dans l’amitié humaine ou dans la science théologique, et si des paroles affectueuses rassureraient M. de Chanteprie mieux que des arguments. Il pensa que ce n’était plus le temps de discuter, et que la pauvre âme acharnée à demander des raisons, il fallait l’enivrer d’espérance… Il encouragea Augustin, entremêlant l’exhortation de prières spontanées ; il l’assura que la tentation non consentie et patiemment supportée peut ajouter au mérite d’une âme ; que les plus grands saints ont conçu des inquiétudes sur la foi ; et que Jésus-Christ même avait supplié son Père d’éloigner le calice… Oui, la terre étonnée avait frémi d’entendre le Fils crier vers le Père : « Pourquoi m’avez-vous abandonné ?… » Et comme le curé parlait, il sentait, sur son