Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/247

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bras, les doigts crispés resserrer leur étreinte ; les yeux désespérés, fixés sur ses yeux, suppliaient encore : « Aidez-moi ! » Les dernières larmes, les plus amères qu’Augustin eût pleurées en ce monde, glissaient, si lourdes, si lentes, sur la face de l’agonisant…

La confession achevée, M. de Chanteprie essaya de balbutier l’acte de contrition, et le prêtre leva les mains pour le bénir et l’absoudre. Puis il l’engagea à se recueillir, à s’abandonner aux bras de Dieu comme un enfant coupable et pardonné aux bras d’un bon père. « Vous allez recevoir le saint viatique… » Augustin frissonna… « Recevez-le, en toute confiance, dans un sentiment d’humilité et de douceur. » Et la porte se rouvrit… À travers le brouillard de ses pleurs, Augustin entrevit un noir défilé de formes silencieuses qui entraient une à une et se prosternaient autour du lit : il entrevit la petite lueur des cierges, jaune dans le plein jour, la robe rouge du servant, le blanc surplis du prêtre, le ciboire comme un point de vermeil. L’odeur des roses emplissait la chambre et il parut à M. de Chanteprie que son âme se détachait déjà, et flottait, légère, si légère, dans ces lueurs vagues et dans ces vagues parfums… Demi-conscient, triste et docile, il sentait son Dieu venir vers lui ; il sentait autour de lui, l’Église, représentée par le prêtre et les fidèles, l’Église attentive à l’abriter sous l’étole symbolique, à le rafraîchir de ses eaux lustrales, à le bercer de ses chants millénaires qui endorment l’une après l’autre, dans la mort, les générations des hommes…

L’abbé Le Tourneur était parti. Dans la chambre crépusculaire, l’odeur des cierges éteints se mêlait, tenace et funèbre, à l’odeur des roses. Déjà, l’on ne distinguait plus les angles des murs ; mais la mousseline des rideaux retenait un reflet bleuâtre, et M. de Chanteprie regardait décliner la lumière, cette douce lumière du soir qu’il ne verrait plus.

Un grand silence s’était fait dans son âme. Il songeait à des choses très anciennes, qu’il croyait avoir oubliées, à de petits événements de son enfance, à des gens morts depuis longtemps dont il revoyait, distinctement, le visage. Ils resterait de lui ce qui restait d’eux, un petit tas d’ossements qui, chaque jour, tombe en poussière ; une image confuse dans la mémoire des hommes qui, chaque jour, va s’effaçant… Ceux qui avaient aimé Augustin, ceux qui l’avaient connu, mourraient aussi, en peu d’années, et bientôt personne ne