Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/55

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croix. Mon père s’en amusait… Il y avait aussi des catholiques par convenance, qui vivaient en francs païens, je vous assure… Mon père les méprisait.

— Moi aussi, je les méprise, dit Augustin. Mais comment des gens, qui ont la foi, peuvent-ils vivre dans un pareil monde, et, s’ils n’ont pas la foi, pourquoi se disent-ils chrétiens ?

— Croyez-vous que des gens du monde puissent conserver intacte leur foi ?

— C’est difficile, mais Dieu garde ceux qu’il a choisis. »

Il pensait : « Et vous, madame, avez-vous la foi ? » » La terrible question brûlait ses lèvres.

« Je m’étonne, reprit-il, que l’évidence de la vérité n’éblouisse pas les âmes, j’entends les âmes sincères, qui cherchent leur voie en gémissant. Et je m’étonne plus encore que l’on puisse connaître la doctrine de l’Église sans l’admirer, l’admirer sans l’aimer, l’aimer sans la pratiquer…

— Il y a des âmes réfractaires…

— Il y a surtout des âmes obscures : leur mal vient de leur ignorance. Un jour, par hasard, un mot tombe sur elles comme un rayon, comme un éclair : elles s’illuminent ; elles se reconnaissent… »

Assise dans un fauteuil de paille, le coude sur le genou et le menton sur la main, Fanny regardait dans le vide. Augustin crut qu’elle allait répondre, qu’elle allait prononcer la parole révélatrice… Pourquoi l’attendait-il, cette parole, avec une angoisse inconnue ? Il avait oublié l’occasion futile de sa visite, le début de la conversation, et sa timidité farouche, et ses méfiances. Comment étaient-ils venus à parler de Dieu ? Augustin ne savait plus. Ce nom prononcé les obligeait tous deux à révéler le profond secret de leurs âmes. Car il n’y avait plus que deux âmes en présence, deux âmes ennemies ou fraternelles… Non, Fanny Manolé ne pouvait être, irrémédiablement, une ennemie ! Elle avait souffert, elle avait aimé et pleuré. Elle était, par instinct, chrétienne. Augustin n’en voulait pas douter.

Lourdement, le coucou sonna l’heure… Midi. Augustin s’excusa.

« Je suis attendu à déjeuner chez le curé de Rouvrenoir, dit-il. Vous me pardonnerez, madame, de vous avoir retenue si longtemps ? »

Ils se levaient, redevenus cérémonieux.