Elle était jolie ?… N’était-ce pas fort heureux pour elle, qui, sans fortune, avait grand besoin de sympathies actives ? Elle était bonne et dévouée ?… Assurément, elle savait s’attacher les hommes. Et pour conclure, ne pouvait-on la définir, la qualifier d’un mot qui contenait tous les griefs, toutes les critiques, tous les insultants hommages ? C’était une « femme d’amour ».
Ce mot, Barral l’avait entendu cent fois, et il se le répétait dans sa pensée comme le plus délicieux éloge qu’on pût faire d’une femme. Que lui importaient les racontars ? il ne voulait pas savoir si, depuis son veuvage, et même pendant son mariage, Fanny était restée « vertueuse ». Elle était maîtresse d’elle-même, en attendant qu’elle devînt sa maîtresse, à lui, Barral. Et pourquoi pas ? N’étaient-ils point merveilleusement assortis, créés l’un pour l’autre, ayant l’un et l’autre assez souffert du mariage pour comprendre le charme de l’amour libre, et pour mépriser les sanctions ? Non, Barral n’aimait pas Fanny romantiquement. Il n’était pas un collégien sentimental. Il ne versait pas des torrents de larmes en pesant à Elle ; il ne lui dédiait pas des sonnets ; il était tout à fait incapable d’aller lui chercher des edelweiss à la cime d’une montagne. Et même, si Fanny ne voulait pas l’aimer, si elle aimait un autre homme, Barral était presque sûr de ne pas mourir de désespoir. Mais il estimait la probité de ce caractère féminin, il chérissait la vive et souple intelligence de Fanny comme une source de rares et durables plaisirs ; désirait son corps, ce corps svelte, vigoureux et souple, qu’il devinait si beau dans la volupté… « Sympathie intellectuelle, échange de sentiments délicats et de sensations délicieuses, c’est ça l’amour, pensait Barral ; ça n’a rien de sublime, mais c’est très doux, et c’est très amusant… Pourquoi ne peut-on faire accepter aux femmes cette simple définition d’une chose très simple ? Il leur faut du drame, de l’élégie, des festons et des astragales… C’est puéril… Il n’y en a pas une, une seule, qui veuille bien descendre de l’empyrée… Pas une !… Et je ne suis pas certain que Fanny… »
Il se prit à rire, tout haut. Fanny s’étonna :
« Qu’avez-vous ?
— Je pense, dit-il, que les mêmes personnes nous associent dans la même réprobation, et cela m’enchante. Vous êtes une « femme d’amour », je suis un père dénaturé, un mari cruel, un libertin. La méchanceté des sots et la sottise des méchants nous rapprochent. Mais, dites-moi, chère amie, là, franchement, pourquoi