Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/62

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désire, je vous offre la sécurité, le bien-être, un peu de luxe, et ma très sincère affection, pour vous consoler du mépris des imbéciles. Mais je ne puis vous épouser !… »

Barral s’apercevait, à ce moment, que Fanny pouvait considérer cette déclaration comme un outrage. Si libre de préjugés qu’elle fût, elle ne renoncerait pas aisément à la considération du monde, – de ce monde qui ne distingue pas l’amoureuse libre de la fille entretenue.

« Il faut patienter. Il faut la préparer, la persuader, lui suggérer les choses, par des allusions… »

Elle revenait, charmante, avec sa courte jupe noire, ses bas noirs, ses souliers plats, sa chemisette de mousseline blanche et son chapeau blanc. Ce n’était plus Fanny Manolé ; c’était un être indécis, d’une grâce plus jeune et plus irritante. Barral déclara :

« Vous avez quatorze ans et demi.

— Merci », dit-elle en riant.

Sur la route du Chêne-Pourpre, ils partirent, côte à côte, dans la caresse de l’air et le bourdonnement des quatre roues qui fuyaient en bruissant comme des abeilles. D’un même mouvement rythmique, leurs pieds pressaient les pédales, et ils allaient toujours plus légers, toujours plus rapides.

Autour d’eux, c’était la plaine, seigles bleuâtres, avoines argentées, et les blés qui bientôt allaient jaunir, et, plus loin, un espace de lande, tout en bruyères, et, plus loin encore, le cercle compact et sombre : la forêt. Le soleil était haut dans le ciel. Les aciers des machines lançaient de longs éclairs, et le couple filait, sans effort, en silence.

Ils descendirent l’allée qui s’enfonce dans la forêt ; ils virent fuir, à leur gauche, les terrains réservés aux chasses, les garennes où s’ébattaient des lapins, et, à leur droite, la façade d’un château Louis XVI, les arbres des boulingrins, les pièces d’eau, les faisanderies… Ils remontaient en plaine, glissaient sur la route à travers champs, laissaient derrière eux les derniers chaumes d’un village. Et c’était encore la forêt.

« Reposons-nous ! » cria Fanny.

Elle sauta lestement. Barral la rejoignit, et, guidant leurs machines, ils pénétrèrent sous bois.

Ils étaient dans une avenue forestière, très droite, si longue qu’ils n’en voyaient pas la fin. Une odeur forte, une odeur mouillée, montait des fonds de fougères, et sur le bord des talus, la mousse