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Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/81

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Augustin, nourri de Pascal, croyait voir en Fanny cet homme dont parle l’auteur des Pensées, cet homme qui, enfermé dans un cachot, ne sachant si son arrêt est donné, n’ayant qu’une heure pour l’apprendre et pour obtenir sa grâce, emploie cette heure à jouer au piquet. Elle n’affirmait pas que notre âme n’est qu’un peu de vent et de fumée ; elle disait : « Que sais-je ? » et « Que m’importe ? », oubliant que « toutes nos actions et nos pensées doivent prendre des routes différentes, selon qu’il y aura des biens éternels à espérer ou non, et qu’il est impossible de faire une démarche avec sens et jugement, qu’en la réglant par la vue de ce point qui doit être notre dernier objet ». M. de Chanteprie s’épouvantait avec Pascal de voir, « dans un même cœur et dans un même temps, une extrême sensibilité pour les moindres choses et une étrange indifférence pour les plus grandes… » Il y reconnaissait « cet enchantement incompréhensible, cet assoupissement surnaturel qui marque une force toute-puissante qui le cause… »

Que faire ?… La foi n’est pas un don de raisonnement, mais un don de Dieu, de ce Dieu qui se nomme lui-même un Dieu caché. La volonté y a plus de part que l’esprit, et nul ne peut croire s’il ne veut croire. Le jeune homme tâchait donc d’émouvoir Fanny, avant que de la convaincre ; il souhaitait l’amener à cette « créance que est celle de l’habitude, et qui, sans violence, sans art, sans argument, nous fait croire les choses, et incline toutes nos puissances à cette croyance, en sorte que notre âme y tombe naturellement ». Certes, il ne doutait pas qu’au premier moment, Mme Manolé, vraie fille de Montaigne, ne se rejetât vers le mol oreiller du doute, mais du moins n’y trouverait-elle plus le repos mortel dont elle prétendait jouir.

Dans le salon rustique des Trois-Tilleuls, les heures passaient vite. Par ces jours pluvieux, une placide lumière blonde semblait émaner des rideaux couleur de citron, comme le reflet d’un soleil d’hiver. Fanny goûtait un mystérieux plaisir à se raconter. Elle était, de toutes façon, l’aînée, instruite par l’amour et par la douleur, d’une complexité qui pouvait déconcerter un jeune homme ignorant et simple. Dans cette complaisance qu’elle mettait à montrer son âme peu à peu dévoilée, presque nue et frissonnante de pudeur, il y avait comme un besoin de rassurer Augustin, et d’indiquer les points de contact de leurs âmes. Ce n’était point une manœuvre de séduction, car Fanny ne savait pas, ne pouvait pas être coquette avec M. de Chanteprie. C’était l’effet d’un instinct irrésistible