Page:Tinayre - La Rancon.djvu/233

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tenaient à son éducation plus qu’à sa nature, si confiant qu’aucun doute n’avait effleuré son âme et que l’amour d’Étienne pour Jacqueline l’eût surpris autant qu’épouvanté.

De l’autre côté du lit, Jacqueline se tenait debout, les paupières rouges dans un visage livide, ses cheveux à peine attachés sur sa tête, qui ployait, vaincue, sous une malédiction. Elle ne pleurait pas, elle regardait ce lit tragique où luttaient la mort et la vie, où le corps de l’époux s’allongeait inerte, séparant les deux complices. Leurs yeux se fuyaient comme si Paul était mort de leur crime, laissant un cadavre entre leurs bras à jamais désunis. Cette chambre d’agonisant avait la solennité des lieux sacrés où l’on parle à voix basse par respect pour une invisible présence, par crainte aussi d’éveiller l’Intruse qui va peut-être franchir le seuil. Étienne contemplait son ami. Jacqueline contemplait son mari. Son mari ! Celui qu’elle avait épousé pour le bonheur et le malheur, la richesse et la pauvreté, la santé et la maladie, pour le temps et l’éternité. Il avait eu le premier rêve de son cœur, le premier baiser de sa bouche, la fleur de son âme et de sa chair… Ah ! le jour lointain des noces, le voile blanc, l’anneau symbolique, toute la poésie du mariage